L’indulgence du juge en présence d’une insuffisance d’actif

Publié le 02/04/2014 Vu 8 380 fois 0
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L’année 2013 s’est caractérisée par une augmentation des entreprises sous le coup d’une procédure collective. Plus précisément, de très nombreuses sociétés ont fait l’objet de procédure de mise en liquidation judiciaire de sociétés et peu de créanciers ont recouvré leur créance. En conséquence, un certain nombre de liquidateurs ont engagés une action en responsabilité pour insuffisance d’actif ayant notamment invoqués entre autre des fautes de gestion ou d’abus de biens sociaux. Compte tenu de ces accusations, les dirigeants ont invoqués des motifs tenant notamment à leur inexpérience.

L’année 2013 s’est caractérisée par une augmentation des entreprises sous le coup d’une procédure co

L’indulgence du juge en présence d’une insuffisance d’actif

L’année 2013 s’est caractérisée par une augmentation des entreprises sous le coup d’une procédure collective.

Plus précisément, de très nombreuses sociétés ont fait l’objet de procédure de mise en liquidation judiciaire de sociétés et peu de créanciers ont recouvré leur créance.

En conséquence, un certain nombre de liquidateurs ont engagés une action en responsabilité pour insuffisance d’actif ayant notamment invoqués entre autre des fautes de gestion ou d’abus de biens sociaux.

Compte tenu de ces accusations, les dirigeants ont invoqués des motifs tenant notamment à leur inexpérience notamment dans les affaires.

En effet, dans certains cas, la Cour de cassation a tendance à admettre de plus en plus des circonstances atténuantes invoquées par les dirigeants.

A) L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif

Il faut savoir que les tribunaux  disposent dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif d’un pouvoir d’appréciation souverain du lien de causalité et de la faute.

Ces actions en responsabilité ont une fonction d’indemnisation, et n’ont nullement pour objectif de sanctionner les gérants.

1- Faute de gestion

Pour engager une responsabilité en insuffisance d’actif pour faute de gestion, il faut démontrer bien évidemment le lien de causalité entre l’insuffisance d’actif et la faute de gestion. Il faut donc que la faute du dirigeant ait contribué à l’insuffisance d’actif de la société. Le juge peut décider de condamner même la faute partiellement à l’origine d’une insuffisance d’actif. Si aucune faute de gestion n’est établie, alors on ne peut engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif (Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 9, 23 janvier 2014 n° répertoire général : 13/10861).

La jurisprudence définit la faute de gestion comme celle que ne commettrait pas un dirigeant moyen placé dans les mêmes circonstances. Il peut notamment s’agir d’une faute par omission.

L’auteur de la faute peut également être un ancien dirigeant (CA Caen, 14 févr. 2008, n° RG : 06-01.882).

En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsable.

2- En cas d’abus de biens sociaux

Une action en responsabilité en insuffisance d’actif pour abus de biens sociaux peut également être engagée par le liquidateur judiciaire.

L’abus de biens sociaux est défini à l’article R241-3 du Code de commerce comme « le fait pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».

B)  Interprétation du juge

De plus, il faut savoir qu’il est assez rare que les juges du fond, dans leur pouvoir souverain d'appréciation, considèrent avec indulgence les dirigeants jeunes, fragiles psychologiquement ou inexpérimentés de sociétés en liquidation judiciaire, afin d'alléger une condamnation en responsabilité pour insuffisance d'actif qui aurait été fort lourde pour des dirigeants « normaux » qui ne mériteraient pas pareille complaisance.

La jurisprudence récente nous montre que le juge est de plus en plus enclin à admettre des circonstances atténuantes :

À ce titre, il est intéressant de signaler trois arrêts rendus respectivement par la cour d'appel de Versailles et par la cour d'appel de Caen. Les fautes de gestion relevées dans chacune de ces espèces étaient certes très graves, l'insuffisance d'actif impressionnante, et pourtant les deux cours d'appel ont considérablement diminué le montant de la condamnation prononcée par les juges du premier degré.

Dans l'affaire dont a eu à connaître, la cour d'appel de Versailles le 18 octobre 2012, le tribunal de commerce de Nanterre avait condamné à 80 000 € et à une interdiction de gérer de dix ans le président d'une SAS en liquidation judiciaire, en retenant plusieurs fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif, constatée à hauteur de presque 1 800 000 €. En revanche, le jugement est partiellement infirmé sur le terrain de la sanction patrimoniale, la cour d'appel de Versailles ramenant à 50 000 € le montant de la condamnation, en raison de circonstances estimées de nature à atténuer la responsabilité retenue en première instance. En effet, la société était déjà en cessation de paiements lors de la nomination du dirigeant poursuivi, ce qui supposait que celui-ci dispose d'un certain délai pour appréhender la réalité de la situation ; il avait pourtant reconnu avoir su dès la cession d'actions intervenue pour l'euro symbolique que l'activité était déficitaire ! En outre, selon la cour d'appel, le dirigeant n'était pas préparé à cette tâche au vu de son activité antérieure de musicien.

La même cour de Versailles, dans une décision du 13 septembre 2012, a réduit de 100 000 à 40 000 € le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif mise par le tribunal de commerce de Nanterre à la charge d'un dirigeant atteint de troubles mentaux.

L'état psychique du dirigeant attesté par le certificat d'un psychiatre faisant état de « troubles psychiques pouvant entraîner des perturbations dans la gestion de ses affaires ».

Le dirigeant ne pouvait ainsi apprécier la situation financière de la société et l'insuffisance d'actif avait atteint la somme de 471 000 €. Si la condamnation pécuniaire est très fortement réduite en appel, la cour de Versailles a tout de même admis que la pathologie dont souffrait le dirigeant supposait, dans son intérêt comme dans celui des tiers, qu'il soit écarté de manière prolongée de la direction d'une entreprise, sans toutefois qu'une mesure de faillite personnelle soit justifiée : elle prononce une mesure d'interdiction de gérer de dix ans.

Dans l'arrêt rendu le 4 avril 2013 par la cour d'appel de Caen, le montant d'une condamnation est également réduit, carrément divisé par 10, les fautes de gestion reprochées au dirigeant étant mises en relation avec l'inexpérience de cette personne qui venait de terminer ses études à 23 ans lors de la création de la société, et avec l'existence des cautionnements apportés en garantie des engagements de celle-ci qui le placent dans une situation économique difficile. Pourtant les fautes de gestion ne manquaient pas, et n'étaient pas anodines : poursuite d'une activité structurellement déficitaire – le négoce de véhicules sur un site Internet – depuis trois exercices, location d'un véhicule automobile de luxe aux frais de la société, conclusion d'un bail commercial pour un loyer excessif, opération de cavalerie, soumission délibérée de la clientèle au risque de non-livraison alors que le prix de vente des véhicules était encaissé immédiatement.

L'inexpérience, l'amateurisme, l'inconscience et l'inaptitude, invoqués comme moyens de défense devant certaines cours d'appel enclines à la compassion envers des dirigeants écrasés par des tâches et des responsabilités auxquelles ils n'étaient pas du tout préparés, sont donc de nature à alléger notablement le poids des condamnations au paiement des dettes sociales. Ce sont évidemment les créanciers sociaux qui font les frais de la bienveillance avec laquelle sont appréciées la personnalité et les faiblesses de dirigeants piètres chefs d'entreprise.

Néanmoins, il faut savoir que même si dans certains cas, le juge condamne avec indulgence les dirigeants,  tel n’est pas le principe puisque l’on peut constater que dans un certain nombre d’arrêt, le juge faisant usage de son pouvoir souverain d’appréciation, n’a pas hésité à condamner fermement les dirigeants en rappelant que « ni le caractère bénévole de l’activité, ni les interférences éventuelles d’un actionnaire fut-il majoritaire, ne sont de nature à exonérer le dirigeant social de sa responsabilité lorsqu’il a contribué à la faute de gestion ayant elle-même contribué à l’insuffisance d’actif » (Cass. com., 22 janv. 2013, n° 11-27.420).

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Joan DRAY

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