LE LIQUIDATEUR JUDICIAIRE PEUT INVOQUER L’INOPPOSABILITÉ D’UNE DÉCLARATION D’INSAISISSABILITÉ
Le législateur a mis en place la technique de déclaration d’insaisissabilité pour éviter la saisine de certains biens de l’entrepreneur individuel par les créanciers professionnels.
L’efficacité d’une telle mesure peut s’apprécier à l’occasion d’une procédure collective.
- Formalités :
Un entrepreneur individuel peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ainsi que sur tout bien foncier qu'il n'a pas affecté à son usage professionnel (C. com. art. L 526-1, al. 1 dans sa rédaction antérieure à la loi « Macron » du 6-8-2015).
Cette déclaration, faite devant notaire et soumise à publicité (publication au bureau des hypothèques et, si l'entrepreneur est immatriculé sur un registre de publicité légale à caractère professionnel, mention sur ce registre ; art. L 526-2, al. 1 et 2 anciens), n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent après la publication et à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant (art. L 526-1, al. 1 ancien).
- Opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la liquidation judiciaire :
Dès lors que la déclaration d'insaisissabilité a été publiée avant le jugement d'ouverture, le débiteur peut l'opposer à la procédure (Cass. com. 28-6-2011 n° 10-15.482 : RJDA 11/11 n° 957) et le créancier saisissant n'a pas à demander au juge-commissaire de l'autoriser à poursuivre la vente de l'immeuble (Cass. com. 5-4-2016 n° 14-24.640 : RJDA 7/16 n° 565).
Le juge excède ses pouvoirs s'il autorise le liquidateur à procéder à la vente de l'immeuble déclaré insaisissable (Cass. com. 24-3-2015 n° 14-10.175 : RJDA 6/15 n° 451) ;
Le liquidateur, qui n'a qualité pour agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers, ne peut pas agir dans l'intérêt des seuls créanciers postérieurs à la déclaration pour demander l'inopposabilité de la déclaration (Cass. com. 13-3-2012 n° 11-15.438 : RJDA 6/12 n° 609 ; Cass. com. 18-6-2013 n° 11-23.716 : JCP E 2013.1452 note Lebel) ou exercer contre elle l'action paulienne (Cass. com. 23-4-2013 n° 12-16.035 : RJDA 7/13 n° 655).
Ces créanciers ne peuvent pas prétendre poursuivre le paiement de leurs créances sur l'immeuble insaisissable (Cass. com. 30-6-2015 n° 14-14.757 : JCP E 2015 n° 1608 note C. Lebel) ;
- Revirement de jurisprudence :
Par un arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation en date 15/11/2016 n°14-26.287, la Haute juridiction a opéré à un revirement de jurisprudence en retenant que le liquidateur judiciaire qui a qualité pour agir au nom des créanciers peut invoquer l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité non publiée afin de reconstituer leur gage commun.
En l’espèce une commerçante fait publier en 2010, au bureau des hypothèques, une déclaration notariée d’insaisissabilité portant sur l’immeuble constituant sa résidence principale, dont elle est propriétaire indivise avec son époux, mais ne la fait pas publier au registre du commerce et des sociétés (RCS). Après sa mise en liquidation judiciaire, le liquidateur demande que cette déclaration d’insaisissabilité lui soit rendue inopposable pour défaut de publicité au RCS et qu’il soit procédé à la licitation de l’immeuble indivis.
Il y a lieu de faire droit à sa demande : la déclaration d’insaisissabilité n’étant opposable à la liquidation judiciaire que si elle a fait l’objet d’une publicité régulière, le liquidateur, qui a qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, est recevable à en contester la régularité à l’appui d’une demande tendant à reconstituer le gage commun des créanciers.
En effet il s’agit d’un revirement de jurisprudence puisqu’auparavant, la Cour de cassation avait jugé que le liquidateur judiciaire, qui n'a qualité pour agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe decréanciers, ne peut pas agir dans l'intérêt des seuls créanciers postérieurs à la déclaration pour demander l'inopposabilité de la déclaration ayant été irrégulièrement publiée (Cass. com. 13-3-2012 n° 11-15.438 : RJDA 6/12 n° 609 ; Cass. com. 18-6-2013 n° 11-23.716 : D. 2013 p. 1618 obs. A. Lienhard).
Cette solution avait pour inconvénient de priver les organes de la procédure collective de la possibilité de contester l’opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la procédure, notamment lorsqu’elle n’avait pas été publiée au RCS.
Par ailleurs, lors d’un litige relatif au licenciement d’un salarié dans le cadre d’une procédure collective, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu l’occasion de décider, pour la première fois à notre connaissance, que relèvent du monopole du commissaire à l'exécution du plan (ou de tout autre organe de la procédure collective) toutes les actions tendant à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers (Cass. com. 2-6-2015 n° 13-24.714 : BRDA 11/15 inf. 10).
L’arrêt commenté, explicitement motivé, censure la décision de la cour d’appel qui avait repris la solution de l’arrêt de 2012. Il se situe dans le droit-fil de la décision de 2015 en retenant que le liquidateur peut invoquer l’inopposabilité d’une déclaration d’insaisissabilité non publiée dès lors que sa demande tend à reconstituer le gage commun des créanciers ; au cas particulier, il s’agissait de la licitation du bien indivis entre la commerçante et son conjoint.
Désormais, l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel est de droit, même si elle sert partiellement à un usage professionnel (C. com. art. L 526-1 issu de la loi « Macron » de 2015, al. 1).
Mais tout autre bien foncier peut faire l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité, à condition que celle-ci soit publiée dans un registre de publicité légale (C. com. art. L 526-1, al. 2 nouveau).
Il en résulte que la présente décision est applicable tant aux déclarations d’insaisissabilité d’une résidence principale, faites avant le 8 août 2015, les déclarations d’insaisissabilité antérieures à la loi « Macron » continuant à produire leurs effets (Loi « Macron » art. 206, IV-al. 1), qu’à celles relatives aux autres biens fonciers, antérieures ou postérieures à la loi « Macron ».
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Joan DRAY
Avocat à la Cour
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