I/ DEFINITION DE L’INSUFFISANCE PROFESSIONNELLE.
L’insuffisance professionnelle peut être définie de manière générale comme le manque de compétence du salarié dans l’exécution de ses taches.
Cette notion recouvre en réalité trois situations :
- la situation du salarié qui n'a pas satisfait à ses objectifs de résultats. Ce sera ainsi le cas d’un représentant commercial qui n’a pas atteint le quota fixé par son directeur commercial. On parlera alors d'insuffisance de résultats.
- la situation dans laquelle le salarié ne fournit pas dans le cadre de son travail tous les résultats attendus, ou dans laquelle il ne parvient pas à remplir ses fonctions en totalité ou avec la rapidité souhaitée. On désigne généralement ces situations en parlant d'incompétence professionnelle. Ce sera par exemple le cas d'une directrice commerciale qui se révèle incapable de faire face à l'accroissement de ses fonctions qu'elle avait accepté et qui étaient compensées par une augmentation de rémunération (Cass. soc., 28 mars 1985, no 82-40.899).
- enfin, il y a également les situations d'inadaptation professionnelle, c'est-à-dire celles où le salarié ne parvient pas à prendre en compte des évolutions techniques dans l'exécution de ses attributions, nonobstant les efforts faits par l'employeur pour assurer son adaptation (Cass. soc., 26 juin 1985, no 81-42.870).
Après avoir définit l’insuffisance professionnelle, il est important de préciser que l’insuffisance professionnelle n’est pas une faute. En tout état de cause, l'employeur qui entend licencier pour un manque professionnel doit faire un choix : soit il décide de se situer sur le terrain disciplinaire et il doit caractériser la faute, soit il se focalise sur l'insuffisance professionnelle qui n'est pas une faute (Cass. soc., 31 mars 1998).
MODIFICATION DES FONCTIONS POUR INSUFFISSANCE PROFESSIONNELLE.
Modification du contrat de travail
Lorsque la modification apportée aux attributions de l'intéressé n'est plus seulement mineure et qu'elle s'avère importante, elle ne peut être imposée au salarié. Il dispose alors d'un droit de refus de la modification proposée.
Dans le cas d'une réponse positive de l'intéressé, il est prudent de recueillir de façon formelle son accord explicite. L’acceptation ne se présume pas, elle ne peut se déduire de la seule continuation du travail aux anciennes conditions. Dans le cas d'une réponse négative, le refus s'analysera alors en une rupture du contrat imputable à l'employeur, ce dernier devant alors, au choix, procéder au licenciement du salarié, ce qui suppose qu'il peut justifier du fait que l'insuffisance professionnelle constitue effectivement une cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 16 janv. 1985), ou bien maintenir les conditions de travail antérieures.
Les modifications telles que celles qui impliquent de renoncer à certaines attributions (techniques, management relation clientèle ...) qui sont les caractéristiques même de la fonction, peuvent entrer dans cette catégorie et ceci alors même qu'il n'y a aucune incidence sur la rémunération (Cass. soc., 22 mai 1979). Ce sera encore le cas, a fortiori, d'une modification impliquant aussi une baisse de rémunération et constituant à proprement parler une rétrogradation, un déclassement professionnel.
Baisse de la rémunération pour insuffisance professionnelle.
L’article L. 1331-2 énonce qu’il est interdit à l'employeur de pratiquer des amendes ou sanctions pécuniaires à l'égard du salarié. Tout acte ou décision contraire à cette règle encourt l'annulation et serait susceptible au surplus de sanctions pénales. Ainsi, il n'est pas possible de diminuer le salaire parce que le travail a été mal fait.
L'interdiction est de portée très générale. Elle vaut pour le salaire de base lui-même mais aussi pour les primes qui s'y ajoutent le cas échéant. Elle s'applique également alors même que l'exécution défectueuse du travail est le résultat d'actes volontaires.
Enfin, il est toujours loisible à l'employeur de refuser le versement d'une prime soumise à des conditions de résultats, de rendement ou encore d'assiduité, dès lors que les conditions de performance qu'il a définies ne sont pas réunies. Encore faut-il que la prime en question ait été expressément reliée à l'accomplissement de la performance, faute de quoi sa suppression redevient une sanction pécuniaire prohibée (Cass. soc., 2 décembre 1992; Cass. soc., 1er juillet 1998).
II/lICENCIEMENT POUR INSUFFISANCE PROFESSIONNELLE.
Existence d’une cause réelle et sérieuse.
Le code du travail prévoit l’indication d’une cause réelle et sérieuse du licenciement dans la lettre de notification.
Donc, pour que l’insuffisance professionnelle soit reconnue comme une cause sérieuse, elle doit être vérifiée par le juge (soc. 4 et 5 janvier 1978, 20 septembre 2006).
L’insuffisance professionnelle doit donc reposer sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié.
Ainsi, ne peuvent être valablement invoqués des griefs vagues tels que « l’absence chronique d’ardeur au travail »du salarié (cass. soc 17 février 1978), son « manque d’imagination ou de dynamisme » (cass. soc 2 juin 1988) ou encore la mauvaise qualité du travail alors que le salarié ne dispose pas du matériel adapté (cass. soc. 4 octobre 1990).
Pour des emplois commerciaux, l'insuffisance de résultats doit pouvoir se mesurer.
Le contrat de travail de certains cadres ou plus fréquemment des « commerciaux » peut être assorti d'une clause prévoyant qu'en cas de non-réalisation des objectifs fixés dans le contrat de travail, il pourra être procédé à leur licenciement.
La clause d'objectifs est une clause facultative du contrat de travail qui peut conduire à un licenciement pour insuffisance professionnelle de manière générale ou pour insuffisance de résultats de manière plus précise si les objectifs sont chiffrés.
Par cette clause, le salarié reconnaît en quelque sorte un motif de licenciement, ce qui peut conduire à des abus de rupture du contrat de travail.
C’est dans ces conditions que le juge a été amené à vérifier si les objectifs sont réellement réalisables eu égard à la situation du marché.
Le juge devra procéder à un double examen:
-les objectifs sont-ils réalistes et le salarié a-t-il commis une faute en ne les atteignant pas ?
Dans l’hypothèse où le juge reconnait que les objectifs à atteindre sont réalistes et réalisables, il devra s’interroger sur l’existence d’une faute et notamment savoir si le comportement du salarié est constitutif de la non-réalisation des objectifs (refus de collaboration, refus de formation etc…)
Ainsi, la non-réalisation de la clause d'objectifs ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement ; elle doit être étayée par des faits objectifs (une faute du salarié). En aucun cas, l'employeur ne peut contractualiser un motif de licenciement.
Aussi, lorsque le salarié réalise un chiffre d'affaires très faible, insusceptible d'être redressé et sensiblement inférieur à celui contractuellement assigné, il doit être considéré comme licencié en raison d'une cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 16 févr. 1999, no 97-40.326).
Prise en compte du comportement de l’employeur et situation du salarié.
Alors que l’employeur dispose d’une plaine autonomie dans l’appréciation des performances des salariés, il est important de prendre en compte son comportement vis-à-vis de ces derniers.
Le poids des circonstances « extérieures » ne doit pas constituer la cause principale de l'insuffisance de résultat (Cass. soc., 19 janv. 1994).
Un licenciement ne peut être justifié, lorsque le salarié est confronté à une situation économique difficile et à la mauvaise politique commerciale de la direction (Cass. soc., 3 févr. 1999).
Il faut également savoir que le fait que le salarié n'aura fait antérieurement l'objet d'aucun reproche, d'aucune sanction sera souvent considéré avec attention (Cass. soc., 31 mai 1978, no 77-40.377 ; Cass. soc., 21 mai 1986).
Ce sera encore le cas, et peut-être plus encore, lorsque quelque temps avant de se voir reprocher une insuffisance de résultats, l'intéressé aura été (chaudement) félicité et qu'il aura reçu par exemple une augmentation de salaire significative (Cass. soc., 21 févr. 1991, no 89-40.148). Assurément, les juges y verront une contradiction susceptible de priver la décision de l'employeur de tout caractère réel et sérieux.
En outre, l'examen des circonstances ne devra pas révéler l'existence d'un quelconque détournement de pouvoir.
S'il apparaissait que, sous prétexte d'insuffisance de résultats ou de rendement, d'autres finalités sont poursuivies comme par exemple une volonté d'ajustement des effectifs et d'allégement de structure (Cass. soc., 14 févr. 1980, no 78-41.557, Bull. civ. V, no 145), la décision serait encore susceptible d'être invalidée.
De la même façon, le comportement du salarié sera aussi pris en compte. Ainsi, il n'est pas indifférent de considérer les performances d'autres salariés placés dans la même situation (Cass. soc., 11 déc. 1984, no 82-41.643) ou encore de vérifier si à un quelconque moment il a exprimé ses difficultés ou réagi aux observations de son employeur (Cass. soc., 7 nov. 1985, no 83-42.149), ou s'il a été en mesure de fournir une quelconque explication (Cass. soc., 22 janv. 1997, no 93-46.109).
L’obligation d’adaptation
Il ne faut pas oublier également que l’article L 6321-1 du code du travail impose à l’employeur une obligation d’adaptation des salariés à leu poste de travail notamment au regard de l’évolution de l’emploi et des technologies.
Aux termes de l'arrêt Expovit, la chambre sociale de la Cour de cassation avait affirmé que
« l'employeur, tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d'assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois » (Cass. soc., 25 févr. 1992, n° 89-41634 : JurisData n° 1992-000429 »
L'employeur doit s'efforcer de tout mettre en oeuvre pour permettre au salarié de s'adapter à l'évolution de son emploi
Dans un arrêt du 5 décembre 2007, la Chambre sociale de la Cour de Cassation affirme que si le refus d'un salarié de suivre une formation décidée par l'employeur ne constitue pas une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise. Toutefois, le comportement du salarié qui refuse, sans motif légitime, de suivre une action de formation décidée par l'employeur dans l'intérêt de l'entreprise présente un caractère fautif.
En définitive :
Ainsi que la Cour de Cassation l’a parfaitement indiqué dans son arrêt du 3 décembre 2000, si l'insuffisance de résultats ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement, elle peut le devenir si le caractère réaliste des objectifs est démontré et si la non-réalisation de ces derniers est imputable au salarié.
Je me tiens à votre disposition pour tous renseignements supplémentaires dont vous auriez besoin et pour tous contentieux.
Maître Joan DRAY