Il arrive que le sauvetage d'une l'entreprise soit impossible, le jugement de liquidation judiciaire conduit alors à la disparition définitive de l'entreprise par la liquidation de ses actifs. Les salariés doivent également être licenciés (sauf sursis accordé en cas de maintien provisoire d'activité est autorisé par le tribunal, selon l'article L.641-10 du Code de commerce).
C'est le liquidateur qui doit procéder à ces licenciements, en respectant au préalable les articles L. 321-8 et L. 321-9 du Code du travail relatifs à l'information/consultation des représentants du personnel et à l'information de l'autorité administrative compétente.
Il doit notifier aux salariés la lettre de rupture, dans les 15 jours suivant le jugement de liquidation judiciaire, afin que soient prises en charge les créances salariales au titre de la garantie AGS. Aucune autorisation judiciaire n'est à ce stade nécessaire, le jugement de liquidation judiciaire suffisant à justifier une telle décision. La lettre de licenciement devra en conséquence faire référence à ce jugement (Cour de cassation, chambre sociale, 2 mars 2004, N°02-41.932).
Mais un problème est apparu, relatif à la conciliation entre l'obligation de licencier dans les 15 jours suivant le jugement de liquidation judiciaire et l'obligation de reclassement.
En effet, aux termes de l'article L.3253-8,2° du Code du travail, l'AGS (association pour la garantie des salaires) ne couvre les créances résultant de la rupture du contrat de travail que si cette rupture intervient dans les 15 jours qui suivent le jugement de liquidation judiciaire (si le maintien provisoire n'a pas été autorisé).
Or, aux termes de l'article L.641-4 du Code de commerce, renvoyant à l'article L.1233-58 du Code du travail, le liquidateur est tenu d'une obligation de reclassement préalable des salariés, avant tout licenciement pour motif économique.
Comment concilier ces deux obligations, qui peuvent paraître contradictoires ? Quels sont le rôle et la responsabilité du liquidateur dans ce cas ?
Tout d'abord, la liquidation judiciaire n'entraîne pas en soi la rupture des contrats de travail (Cour de cassation, chambre sociale, 20 juin 2001, n° 99-43.793). En effet, l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre d'un employeur n'a pas d'incidence sur les contrats de travail et leur exécution se poursuit (Cour de cassation, chambre sociale, 24 mai 2000, n° 98-42.343 : Juris-Data n° 2000-002235 , qui rappelle que “l'ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire n'entraîne pas en soi la rupture des contrats de travail”).
Ainsi, il appartient au seul liquidateur de prononcer les licenciements suite au jugement de liquidation judiciaire. En ce sens, il a été jugé que la salariée qui demande le prononcé de son licenciement par le liquidateur et la fixation de sa créance sur la liquidation judiciaire au titre de son licenciement doit donc être déboutée (Cour de cassation, chambre social 22 mars 2007, n° 05-44.591 : JurisData n° 2007-038160 ).
De plus, la liquidation judiciaire ne peut entraîner la fin automatique du contrat de travail car le tribunal peut autoriser le maintien temporaire de l'activité.
Ensuite cette rupture du contrat de travail doit intervenir dans les quinze jours du jugement (Cour de cassation, chambre sociale,1er décembre 1999, AGS de Marseille et a. c/ Azuali et autres).
Ce délai est impératif et la chambre sociale veille à son strict respect. En effet, si ce délai n'est pas respecté, les salariés ne pourront pas bénéficier de la garantie de l'AGS (article L.3253-8 du Code du travail).
L'AGS, ou l'association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés, est un organisme patronal fondé sur la solidarité interprofessionnelle des employeurs et financé par leurs cotisations. Elle intervient en cas de redressement, de liquidation judiciaire de l'entreprise ou encore, sous certaines conditions, en procédure de sauvegarde. Elle garantit le paiement, dans les meilleurs délais, des sommes dues aux salariés (salaires, préavis, indemnités de rupture...) conformément aux conditions fixées par le code du travail.
Aux termes de l'article L3253-6 du Code du travail :
« Tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ».
Ainsi, l'AGS est une garantie fondamentale permettant le d'assurer le paiement des salariés, quand bien même l'entreprise devrait être liquidée.
Mais le liquidateur, conformément au processus de licenciement pour motif économique de droit commun, est également tenu d'une obligation de mise en place de mesures de reclassement. Il doit ainsi contacter l'employeur et lui demander de rechercher tout reclassement du salarié, par exemple en communiquant une liste de postes équivalents.
Il a été jugé qu'au sein d'un groupe, l'obligation de reclassement pèse sur le seul employeur ou son liquidateur, à l'exclusion des autres sociétés du groupe (Cout de cassation, chambre sociale, 13 janvier 2010, n° 08-15.776).
Or, il peut sembler temporellement impossible de concilier ces deux obligations. C'est ce qu'illustre un arrêt de la chambre sociale de la Cour d'Appel d'Orléans en date du 20 septembre 2012 N° 11/02570).
En l'espèce, au sein de la société il n'existait aucune possibilité de reclassement puisque tout le monde était licencié. Le liquidateur désigné le 7 avril 2009 avait écrit aux sociétés du groupe le 9 avril 2009 pour rechercher un reclassement, en leur demandant une réponse « par retour du courrier », justement en raison du délai précité. Ce n'est qu'après les licenciements prononcés le 22 avril que l'une des sociétés avait transmis au mandataire liquidateur une liste de quinze postes décrits avec précision que celui-ci avait immédiatement proposés aux salariés par courrier du 27 avril 2009. Il ne pouvait donc lui être reproché de les avoir proposés après le licenciement dès lors qu'il devait prononcer celui-ci le 22 au plus tard, dans l'intérêt même des salariés, mais n'avait reçu ces propositions qu'après. Ayant ainsi été normalement diligent en interrogeant les sociétés du groupe dès le 9 avril et en leur demandant une réponse « par retour du courrier », le mandataire liquidateur avait respecté l'obligation de reclassement.
La Cour d'Appel rappelle très clairement que si le liquidateur ne respecte pas le délai de 15 jours imposé par l'article L.3253-8 du Code du travail, il commet une faute privant les salariés de toute éventuelle indemnisation. Elle affirme également que, si la brièveté du délai ne dispense pas le liquidateur de remplir ses obligations en matière de reclassement, elle doit cependant être prise en compte pour apprécier les diligences mises en oeuvre, étant rappelé qu'il s'agit d'une obligation de moyens.
Cet arrêt s'inscrit dans une jurisprudence constante, selon laquelle les juges du fond permettent au salarié peut mettre en cause la responsabilité du liquidateur en cas de manquement fautif (pour exemple : Cour d'Appel de Paris, 2 juillet 1991, Perrod c/ Baumgartner).
Il faut également rappeler un important arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 6 octobre 2011 (N° 11-40.056), qui refuse de transmettre une QPC en la matière au Conseil constitutionnel. La constitutionnalité du dispositif de rupture du contrat de travail en liquidation judiciaire était remise en question par le demandeur au pourvoi. La question était formulée en ces termes : "L'article L. 641-4 du Code du commerce, en ce qu'il opère un renvoi aux articles L. 1233-58 et L. 1233-60 du Code du travail, impose au liquidateur judiciaire de procéder à la mise en place de mesures de reclassement préalables à tout licenciement ou de nature à les éviter, alors même qu'il se trouve dans le même temps soumis à l'obligation édictée par l'article L. 3253-8 du Code du travail, de licencier les salariés dans le délai de quinze jours porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution au regard de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui établit le principe d'égalité du citoyen devant la loi ?"
La Cour de cassation considère que la question ne mérite pas transfert au Conseil constitutionnel pour défaut de caractère sérieux. Elle estime en effet que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Tel est le cas de la situation de l'employeur en liquidation judiciaire, qui est soumis, par application combinée des articles L. 641-4 du Code de commerce et L. 3253-8 du Code du travail, à la même obligation de reclassement préalable au licenciement d'un salarié pour motif économique, que celle à laquelle est tenu un employeur in bonis, tout en l'obligeant à procéder au licenciement du salarié dans un délai de quinze jours de l'ouverture de la liquidation judiciaire, dès lors que cette différence est justifiée par le fait que les sommes dues au titre de la rupture sont prises en charge par un régime d'assurance garantissant les créances salariales contre l'insolvabilité des employeurs et que la réduction de la période couverte par la garantie satisfait à des raisons d'intérêt général.
En d'autres termes, la Cour de cassation considère que le fait que le liquidateur soit tenu à la même obligation de reclassement que celle incombant à une entreprise in bonis - tout en l'obligeant à procéder au licenciement dans les 15 jours qui suivent l'ouverture de la liquidation judiciaire - ne porte pas atteinte au principe d'égalité. La différence est justifiée par le fait que les sommes dues au titre de la rupture sont prises en charge par l'AGS et que la réduction de la période couverte par la garantie satisfait à des raisons d'intérêt général. Cette solution a été confirmée par un arrêt du 19 avril 2013 (Cour de cassation, chambre sociale, 19 avril 2013, N° 13-40.006).
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Joan DRAY
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