Lors de la constitution d’une société, l’insuffisance des apports consentis imputable aux associés constitue-t-elle une faute de gestion?
La Cour de cassation réunie en Chambre commerciale a rendu un arrêt de censure le 10 mars 2015 concernant la caractérisation de la faute découlant de l’insuffisance des apports consentis durant la constitution d’une société.
Les textes et la procédure.
Cette question relative à l’insuffisance d’actif entraînant la liquidation judiciaire d’une société est régie par l’article 651-2 du Code de commerce : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribuée à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion ». Le dirigeant d’une personne morale peut donc avoir la charge de la liquidation judiciaire faisant apparaître une insuffisance d’actif si une faute de gestion est caractérisée et a contribué à cette insuffisance d’actif.
Cette action concerne aussi bien les dirigeants de fait que les dirigeants de droit. Elle peut être initiée par le liquidateur, le ministère public ou la majorité des créanciers nommés contrôleurs selon l’article 651-3 du Code de commerce. La prescription s’applique au bout de trois ans à compter de de la date du jugement de liquidation judiciaire et de la répartition des sommes versées par les dirigeants proportionnellement à leurs avances. En clair, cette action représente une porte ouverte entre le passif de la personne morale - société - et le patrimoine des dirigeants. La faute de gestion symbolise la clef pouvant joindre les deux entités.
Le cas d’espèce.
En l’espèce, une SARL avait été placée en liquidation judiciaire le 3 juillet 2008. Le liquidateur avait assigné les deux cogérants en responsabilité pour insuffisance d’actif. La Cour d’appel de Bordeaux avait condamné un des deux cogérants à payer une certaine somme sur le fondement de l’article 651-2 du Code du commerce. Cette cogérante - Madame X - était à la fois gérante et associée. Elle avait été condamnée en appel au motif qu’elle n’avait pas « apporté à la société qu’elle créait des fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales. »
La Chambre commerciale a décidé de censurer cet arrêt le 10 mars 2015 pour violation de l’article 651-2 du Code commerce.
La solution de la Cour de cassation permet une clarification.
Cet arrêt rendu par la Cour de cassation s’appuie sur le principe de légalité et d’interprétation strictes des règles sanctionnatrices du droit pour rendre sa décision.
La Cour rappelle d’abord la nécessité de caractériser une faute de gestion comme énoncé dans l’article 651-2 précité. Elle rappelle que cet article ne justifie pas une condamnation suivant une lecture extensive des conditions. Se basant sur le critère formel et organique dans un premier temps, l’arrêt fait la distinction nette entre le faute du dirigeant et la faute d’associé. En l’espèce, il y avait bien insuffisance de dotations en fonds propres de la société pour assurer son bon fonctionnement dans des conditions normales. Cette faute serait imputable à la personne devenue dirigeante. Cependant, c’est une faute commise en qualité d’associé et non de dirigeant car elle correspond à un manquement à une obligation d’associé. En effet, l’apport de fonds étant un élément constitutif du contrat de société selon l’article 1832 du code civil, l’insuffisance des apports consentis est alors une faute d’associé.
Cette faute s’opérant lors de la constitution de la société et non dans le cadre de la gestion de la société. Et ce même si les qualités de dirigeants et d’associés se trouvent réunies au sein d’une seule et même personne, selon l’article 223-18 du Code de commerce.
Dans un second temps se basant sur la critère chronologique, la Cour de cassation justifie sa décision dans le pourvoi : « La faute de gestion susceptible de permettre la condamnation d’un dirigeant de droit à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif s’entend d’actes de gestion consécutifs à sa désignation comme dirigeant ». Dès lors, ce n'est pas le cas concernant la constitution de la société.
Cet arrêt marque donc une clarification concernant la caractéristique de la faute due à l’insuffisance des apports consentis lors de la constitution d’une société. Celle-ci est imputable aux associés et ne peut constituer une faute de gestion du dirigeant. La question peut alors se poser de savoir s’il y a faute de gestion si le dirigeant décide de ne pas appeler les fonds correspondant à des apports souscrits mais non libérés.
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Joan DRAY
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