Mesures d'instruction et procédure collective

Publié le Modifié le 11/09/2014 Vu 8 220 fois 0
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L'article 143 du Code de procédure civile définit les mesures d'instruction comme des mesures ordonnées par le juge à la demande d'une partie, ou d'office afin d'établir les faits dont dépend la solution du litige. Quid en cas de procédure collective ?

L'article 143 du Code de procédure civile définit les mesures d'instruction comme des mesures ordonnées par

Mesures d'instruction et procédure collective

L'article 143 du Code de procédure civile définit les mesures d'instruction comme des mesures ordonnées par le juge à la demande d'une partie, ou d'office afin d'établir les faits dont dépend la solution du litige.

Ces mesures d'instruction peuvent consister en des vérifications personnelles du juge mais également en une comparution personnelle des parties, ou encore en des déclarations de tiers.

Plus souvent, le juge ou les parties vont faire appel à un expert, afin d'établir un rapport neutre, objectif et "scientifique"; constituant ainsi une preuve recevable à l'appui des demandes.

Or, en cas de procédure collective, le juge-commissaire dispose également d'un pouvoir d'investigation large lui permettant de recueillir les informations nécessaires sur la situation du débiteur en difficulté (article L.621-9 du Code de commerce).

Comment articuler ces deux régimes relatifs aux mesures d'instruction ? Doit-on appliquer le régime procédural de droit commun à l'expertise ordonnée en procédure collective par le juge-commissaire ? 

I/ Un régime procédural autonome affirmé par la jurisprudence 
 
En vertu de l'article L. 621-9 du Code de commerce, le juge-commissaire dispose du pouvoir de désigner un expert pour une mission qu'il détermine.

L'article L. 621-9 dispose en effet que :

"Le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence.

Lorsque la désignation d'un technicien est nécessaire, seul le juge-commissaire peut y procéder en vue d'une mission qu'il détermine, sans préjudice de la faculté pour le tribunal prévue à l'article L. 621-4 de désigner un ou plusieurs experts. Les conditions de la rémunération de ce technicien sont fixées par un décret en Conseil d'Etat.

Le président du tribunal est compétent pour remplacer le juge-commissaire empêché ou ayant cessé ses fonctions. L'ordonnance par laquelle il est pourvu au remplacement est une mesure d'administration judiciaire". 

Bien souvent, cet article est utilisé pour obtenir des informations sur la situation financière du débiteur ainsi que sur la source des difficultés.

Le rapport réalisé par le technicien est élément susceptible de donner des pistes aux organes de la procédure pour engager des actions-sanction à l'encontre des dirigeants (faute de gestion, responsabilité pour insuffisance d'actif ...).  

D'un autre côté, les mesures d'instruction exécutées par un technicien sont régies par les articles 232 à 284-1 du Code de procédure civile (dans le titre consacré à l'administration judiciaire de la preuve). Parmi les diverses mesures existantes, on compte l'expertise mais aussi la consultation (articles 256 à 262 du CPC) et la constatation (article 249 à 255 du CPC). 

Est-ce que les mesures ordonnées par le juge-commissaire doivent respecter les règles de l'administration de la preuve établies par le Code de procédure civile ?

Il semble que la jurisprudence ait exclu de ce champs la mission du technicien désigné par le juge-commissaire dans le cadre d'une procédure collective.

En effet, elle a tout d'abord jugé que cette mission n'était pas soumise aux règles applicables à l'expertise judiciaire, id est aux articles 263 à 284-1 du CPC (Cour de cassation, chambre commerciale, 23 juin 1998, N°96-12.222).

De même, la Chambre commerciale a estimé qu'une telle mesure ordonnée par le juge-commissaire ne relevait pas des règles relatives aux mesures d'instruction exécutées par un technicien, régies par les articles 232 à 284-1 du CPC (Cour de cassation, chambre commerciale, 16 février 1999, N°96-21.669). 

Elle a encore jugé très récemment qu'une telle mission dans le cadre des procédures collectives n'était pas régie par les dispositions relatives aux mesures d'instruction en général (Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 avril 2013, N°12-13.256). 

Ainsi, un mouvement d'autonomisation de la mission de l'expert nommé dans le cadre de la procédure collective a été établi par la jurisprudence. La mission de cette expert ne sera pas soumise aux règles générales du Code de procédure civile.

Les conséquences sont nombreuses, il s'ensuit par exemple que le rapport du technicien désigné n'a pas à respecter le principe de la contradiction. Néanmoins, il a été jugé que, si le rapport est utilisé dans une instance ultérieure, il devra être soumis à discussion contradictoire (Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 octobre 2003, N°01-00.667).

II/ La qualité pour réclamer une mesure d'instruction

Aux termes de l'article L. 621-8 du Code de commerce : 

"l'administrateur et le mandataire judiciaire tiennent informés le juge-commissaire et le ministère public du déroulement de la procédure. Ceux-ci peuvent à toute époque requérir communication de tous actes ou documents relatifs à la procédure.

Le ministère public communique au juge-commissaire sur la demande de celui-ci ou d'office, nonobstant toute disposition législative contraire, tous les renseignements qu'il détient et qui peuvent être utiles à la procédure".

Ainsi, l'administrateur, le mandataire judiciaire et le ministère public peuvent demander au juge-commissaire d'ordonner une mesure d'instruction afin d'obtenir les renseignements utiles. Le juge-commissaire statue sur la demande, qui n'est pas de plein droit. 

Par ailleurs, le tribunal, lors du jugement d'ouverture, dispose du droit de nommer un expert judiciaire pour la mission qu'il détermine (article L.621-4 du Code de commerce).

Mais, en dehors des organes de la procédure collective, il se peut qu'un tiers demande une telle mesure d'expertise. En effet, il résulte d'un arrêt du 17 septembre 2013 rendu par la chambre commerciale que l'associé d'une société constituée par les partenaires du débiteur (en procédure collective) a qualité pour réclamer la désignation d'un technicien, à condition de formuler sa demande devant le juge-commissaire (Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2013, N°12-17.741). Cet arrêt se prononce également sur l'importante question de la compétence du juge.

III/ La compétence exclusive du juge-commissaire 

Le juge-commissaire est seul compétent pour prononcer une mesure d'instruction in futurum (article 145 CPC) dirigée contre le débiteur sous procédure collective.
La compétence exclusive du juge-commissaire signifie que la compétence ordinaire du juge des référés est écartée.

Cet arrêt revient donc sur une jurisprudence antérieure qui avait admis une compétence concurrente entre juge-commissaire et juge des référés pour les mesures d'instruction fondées sur l'article 145 du CPC (Cour de cassation, chambre commerciale, 27 octobre 1998, N°95-19.718).

De plus, il semble que les voies de recours applicables à l'ordonnance rendue par le juge-commissaire ne relèvent pas du droit commun (c'est-à-dire l'appel et le pourvoi en cassation pour les ordonnances du juge des référés) mais bien du droit aux procédures collectives (articles R.621-21 et suivants du Code de commerce).

En conclusion, la jurisprudence se prononce sur un régime procédural très spécifique à appliquer à la mesure d'instruction ordonnée dans le cadre d'une procédure collective. Une telle mesure est nécessairement ordonnée par le juge-commissaire, à l'exclusion de tout autre juge, dès lors qu'elle concerne un débiteur faisant l'objet d'une procédure collective. 
Si une demande d'instruction est présentée devant le juge des référés, ce dernier devra désormais se déclarer incompétent.

Je me tiens à votre disposition pour tous renseignements et contentieux.


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Joan DRAY
Avocat à la Cour
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