Par un arrêt du 5 février 2014, la première chambre civile de la cour de Cassation affirme la solution selon laquelle les pourparlers transactionnels ne sont pas interruptifs du délai de prescription de l'action en justice.
C'est l'occasion de rappeler la définition des pourparlers transactionnels et leur distinction avec l'accord transactionnel; ainsi que les conséquences de cette distinction en matière de droit substantiel et de droit processuel.
Les faits et la solution
En l'espèce, une avocate a été chargée en juin 1991 de la mission de diligenter les mesures conservatoires et les procédures judiciaires nécessaires au recouvrement d'une créance. Reprochant à celle-ci d'avoir omis de procéder à une inscription d'hypothèque et de ne pas avoir suivi l'instance en validation de la saisie-arrêt pratiquée à la demande des clients, ceux-ci l'ont assignée, ainsi que ses assureurs, le 26 novembre 2008, en responsabilité civile professionnelle et en indemnisation du préjudice résultant de la perte de chance de recouvrer leur créance.
La Cour d'Appel rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription et fait partiellement droit à la demande des clients.
Elle constate que la mission de l'avocate avait pris fin durant l'année 1993 et que la lettre du 27 novembre 2000, adressée par l'assureur aux anciens clients de l'avocat et destinée à envisager une solution amiable de l'affaire, valait reconnaissance expresse du droit à réparation des clients dès lors que l'instruction de la demande avait été poursuivie au cours de l'année 2001, et constituait un acte interruptif de prescription.
La Cour de cassation casse et annule au visa de l'article 2240 du Code civil l'arrêt rendu par la cour d'appel de Poitiers. Elle affirme en effet que "des pourparlers transactionnels ne sont pas constitutifs d'une reconnaissance de responsabilité interruptive du délai de prescription" (Cassation, 1ère civile, 5 février 2104, n° 13-10.791).
Cet arrêt permet de rappeler ce la distinction entre des pourparlers transactionnels et un accord transactionnel (I) - cette distinction ayant des effets sur leurs régimes juridiques (II).
I/ La distinction entre pourparlers transactionnels et accord transactionnel
L'accord transactionnel est défini à l'article 2044 du Code civil comme suit : "la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit".
La transaction est un accord entre deux parties visant à mettre fin à une situation litigieuse. Les parties s'accordent à mettre fin au litige (à l'instance juridictionnelle) dans des conditions énoncées dans ce contrat de transaction.
En revanche, les pourparlers concernent la phase de négociation préalable à la conclusion de cet accord transactionnel. Les pourparlers visent la préparation de la conclusion du contrat en rapprochant les points de vue des parties. Ils consistent essentiellement en une discussion sur le contenu du contrat de transaction, ses modalités, les attentes des parties, des propositions, etc ...
Les pourparlers sont donc une phase préalable et préparatoire au contrat, qui peuvent eux-mêmes prendre la forme contractuelle.
La frontière entre les pourparlers et le contrat réside dans la rencontre des volontés. Le contrat est formé au moment où les parties échangent leur consentement (article 1108 du Code civil). Les parties doivent avoir compris la signification de la transaction ainsi consentie.
Ainsi, les pourparlers ne doivent pas se confondre avec la transaction elle-même. Cette distinction a une influence importante car les deux opérations obéissent à des régimes juridiques différents.
Les pourparlers sont assimilés à la phase pré-contractuelle de négociation d'un contrat - même si ce contrat porte sur la fin d'un litige (contrat ayant un objet processuel). Par conséquent, le régime juridique des pourparlers est différent de celui la transaction.
La transaction est un contrat qui obéit aux règles du droit commun du contrat, notamment pour les conditions de sa formation. En effet, la transaction suppose la réunion des consentements des parties qui ont la capacité de transiger (article 2045 du Code civil). La transaction doit avoir une cause et doit porter sur un objet licite.
La distinction entre pourparlers transactionnels et accord transactionnel est également opérée sur le plan de leurs effets.
II/ Les conséquences de la distinction sur le plan substantiel et processuel
La distinction entre les deux opérations juridiques est importante car selon qu'on se place dans le cadre des pourparlers ou dans le cadre d'un accord transactionnel, les conséquences sur les plans substantiels et processuels ne sont pas les mêmes.
A/ Conséquences sur le plan du droit substantiel
Les deux opérations ne tombent pas sous le même régime juridique. Bien que ces opérations créent toutes deux des obligations, leurs intensité ne sont pas les mêmes; les parties ne s'engagent pas de la même façon.
1/ Les pourparlers
Les pourparlers se basent sur le principe de la liberté contractuelle. On peut distinguer les pourparlers formels des pourparlers informels. Alors que les premiers prennent la forme d'un avant-contrat, les seconds ne sont pas encadrés légalement.
Les pourparlers informels obéissent à des règles plus souples. En effet, ils sont régis par une grande liberté des négociateurs. Il n'existe pas d'engagement, les parties ont le droit de mener des négociations parallèles, les parties ont le droit de rompre librement les pourparlers. Il est à noter qu'il existe tout de même une obligation de bonne foi incombant à chaque partie.
En cas de violation de cette obligation par une partie, elle peut se voir condamnée à indemniser l'autre partie pour rupture fautive des pourparlers.
Les pourparlers formels prennent la forme d'avant-contrats. Il en existe plusieurs types : la négociation, l'accord de préférence, le contrat-cadre, la promesse de contrat, ... Ils se différencient des pourparlers informels en ce qu'ils créent souvent des obligations supplémentaires à la charge des parties, par exemple l'obligation de ne pas mener des négociations parallèles avec un tiers.
Dans tous ces cas de figure, les pourparlers demeurent assez libres car ils ne produisent pas des effets juridiques aussi important qu'une transaction. En effet, les pourparlers - s'ils peuvent mettre certaines obligations à la charge des parties - ne comportent pas l'engagement de conclure un contrat et de faire peser sur les parties des obligations en contrepartie de la décision de mettre fin au litige.
2/ L'accord transactionnel
La transaction a des effets généraux et particuliers qu'il convient de rappeler :
- Effet extinctif : une transaction régulièrement conclue et exécutée empêche tout recours juridictionnel ultérieur relativement au litige sur lequel porte la transaction. Toute prétention portée devant le juge serait déclarée irrecevable.
- Effet obligatoire : la transaction crée des obligations à la charge des parties qu'elles se doivent de respecter, faute de quoi la partie défaillante pourra être de nouveau attraite devant le juge
- Effet relatif : la transaction ne peut avoir d'effet qu'entre les parties (principe de l'effet relatif des conventions tiré de l'article 1165 du Code civil).
- Effet déclaratif : la transaction révèle des droits préexistants mais n'a pas d'effet novatoire ni recognitif.
Pour produire tous ses effets, l'accord transactionnel doit être homologué par un juge.
B/ Les conséquences sur le plan processuel
Quels sont les effets des pourparlers et de l'accord transactionnel sur le plan processuel, et plus particulièrement en matière de prescription ? Ces deux opérations influent-elles sur le délai de prescription de l'action en justice ? La distinction entre pourparlers et transaction prend ici une importance particulière.
Dans le cadre d'un accord transactionnel visant à mettre fin au litige, l'article 2240 dispose que "la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription". Ainsi, la transaction interrompt le délai de prescription dès lors que le débiteur reconnait la créance qui a donné lieu à l'instance juridictionnelle.
L'arrêt de la première chambre civile du 5 février 2014 rappelle que la conclusion d'une transaction a un effet interruptif de prescription; mais que les pourparlers, en revanche, n'ont aucune incidence sur la prescription.
Cette solution est justifiée par l'impossibilité d'assimiler pourparlers et transaction. Les deux opérations n'ont pas le même but et n'engagent pas les parties de la même façon. Sur le plan théorique, cette distinction est claire et justifiée. En revanche, sur le plan pratique, on constate que l'introduction d'un mode alternatif de règlement des litiges suspend la prescription. En effet, l'article 2238 du Code civil dispose que la médiation et la conciliation suspendent le délai de prescription. L'esprit général de faveur du législateur témoigné envers les MARL vise notamment à désengorger les juridictions et à favoriser l'accord amiable. Or, les pourparlers poursuivent ce même but. Dès lors, ne faudrait-il pas aligner leur régime en matière de prescription extinctive du droit d'action ?
Je me tiens à votre disposition pour tous renseignements et contentieux.
Vous pouvez me poser vos questions sur conseiller juridique.net : http://www.conseil-juridique.net/joan-dray/avocat-1647.htm
Joan DRAY
Avocat à la Cour
joanadray@gmail.com
76/78 rue Saint-Lazare
75009 PARIS
TEL:09.54.92.33.53
FAX: 01.76.50.19.67