Il peut arriver parfois que la vie privée ou la vie personnelle d’un salarié soit en opposition avec ce que l’employeur croit pouvoir exiger de son personnel. L’employeur peut-il alors sanctionner voir licencier ce salarié ?
Il convient de rappeler que la vie personnelle du salarié et ses libertés individuelles sont sévèrement protégées dans le cadre professionnel. L’employeur ne peut donc s’immiscer dans le domaine de la vie personnelle de son salarié.
Il en résulte que l’employeur ne peut, en principe, utiliser son pouvoir disciplinaire pour sanctionner un fait tiré de la vie personnelle du salarié (Cass soc 14 mai 1997 n°94-45.473).
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (Article L 1121 -1 du code du travail).
De même « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, (…) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de sa situation de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, […] » (art L 1132-1 et s C trav).
Toutefois, dans certains cas, la jurisprudence peut considérer que les faits et gestes du salarié au cours de sa vie personnelle peuvent avoir une influence sur la vie de l'entreprise et peuvent donc être sanctionnés.
Cet article a pour objet de préciser le principe de l’immunité disciplinaire avant de voir les exceptions à ce principe.
1/ Le principe de l’immunité disciplinaire :
Selon la Cour de cassation si, en principe, il ne peut être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie privée, il en est autrement lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière (Cass soc 20 novembre 1991 n°89-44.605 Affaire LEGER).
Il en résulte qu’un fait tiré de la vie privée ou personnelle ne peut justifier une procédure disciplinaire.
En effet, le principe est celui de l’immunité disciplinaire pour les faits liés à la vie personnelle du salarié. L’employeur ne peut engager une procédure disciplinaire suite à un évènement qui concerne le salarié mais qui est survenu en dehors du temps et du lieu de travail.
Mais, un fait tiré de la vie personnelle peut justifier un licenciement non disciplinaire si l’employeur démontre l’existence d’un trouble objectif causé à l’entreprise par le comportement du salarié.
Ici, la cause de licenciement repose non sur une faute du salarié, mais sur le trouble objectif causé à l’entreprise par le comportement de ce salarié.
En effet, même si le comportement du salarié ne se rattache pas à sa vie professionnelle, il peut de façon exceptionnelle constituer une cause de licenciement.
Pour pouvoir invoquer l’existence d’un trouble objectif, il faut donc apprécier trois catégories de critères :
- Les fonctions du salarié :
Aussi, le comportement perturbateur est généralement plus facilement constaté pour un cadre que pour un employé.
A cet égard, a été jugé justifié le licenciement d’une employée de banque qui a été condamnée pour de menus larcins chez plusieurs commerçants au motif que, par son comportement, elle a jeté le discrédit sur l’établissement bancaire (Cass soc 20 novembre 1991 précité).
De même, peut être sanctionné le salarié d’une association, directeur de foyers de travailleurs migrants chargé de l’encaissement des loyers qui ne payait plus les siens depuis 14 mois malgré des rappels et des procédures contentieuses (Cass soc 11 avril 2012 n° 10-25764).
- La finalité propre de l’entreprise :
Ainsi, une entreprise de gardiennage est fondée à licencier un agent de surveillance autre d’un vol à l’étalage en dehors de ses heures de travail.
En effet, la finalité même de l’entreprise de gardiennage l’oblige à n’employer que du personnel dont la probité ne peut être mise en doute. Le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions, justifiait son licenciement. (Cass. Soc.20 novembre 1991, n° 89-44605)
- Les conséquences objectives pour l’entreprise de l’agissement du salarié
Ainsi, le comportement du salarié à l'égard de sa concubine, également salariée de l'entreprise, ayant entraîné son arrestation sur le lieu de travail et l'employeur pouvant craindre la survenance de nouveaux incidents, celui-ci avait entraîné pour l'entreprise un trouble objectif caractérisé, justifiant un licenciement pour cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 9 juillet 2002 n° 00-45068).
De même, le cadre commercial d’une banque étant tenu, d'une obligation particulière de probité, créé un trouble caractérisé au sein de l'établissement bancaire par sa condamnation pour des délits d'atteinte à la propriété d'autrui. (Cass. Soc. 25 janvier 2006 n° 04-44918).
En revanche, une liaison entretenue avec un autre salarié, relevant de la vie privée de la salariée, ne peut constituer en soi, un motif de licenciement. (Cass. Soc. 21 décembre 2006, n° 05-41140)
De même, la simple invocation d’une perte de confiance à l’égard du salarié est subjective et ne suffit pas à démontrer un trouble objectif à l’entreprise (Cass soc 16 décembre 1998 Bull civ V n° 559).
Le trouble objectif constitue donc un motif autonome non disciplinaire de licenciement.
La Chambre mixte dans un arrêt du 18 mai 2007 a rappelé ce principe en affirmant qu’un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de celui par lequel il est survenu.
La réception par le salarié d’une revue d’échangistes qu’il s’est fait adresser sur le lieu de son travail ne constitue pas un manquement aux obligations résultant de son contrat.
L’employeur ne peut, sans méconnaître le respect dû à la vie privée du salarié, se fonder sur le contenu d’une correspondance privée pour sanctionner son destinataire (Ch mixte 18 mai 2007 n° 05-40.803).
En effet, l’employeur pour justifier le licenciement pour faute grave avait invoqué le fait que la seule vue de la revue par les autres salariés avait causé un trouble dans l’entreprise.
2/ Exceptions à la règle de l‘immunité
- Un rattachement du fait relevant de la vie personnelle à la vie professionnelle :
Ce rattachement d’un fait à la vie professionnelle peut trouver son origine dans les fonctions du salarié.
Par exemple, le fait pour un salarié chauffeur de se voir retirer son permis de conduire pour des faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, même commis en dehors de son temps de travail se rattache à la vie professionnelle (Cass soc 2 décembre 2003 n° 01-43227 SARL Sorest c/Entzmann ).
De même, des faits qui se sont produits en dehors du temps de travail mais à l’intérieur de l’entreprise peuvent être rattachés à la vie professionnelle du salarié.
Ainsi, est passible de sanctions disciplinaires, le salarié ivre qui se livre dans l’entreprise mais en dehors de son temps de travail à des actes de violence (Cass soc 28 mars 2000 n° 97-43.823).
- Le manquement à une obligation contractuelle :
Même en dehors de son temps de travail et du lieu de travail, le salarié reste lié à son employeur par une obligation de loyauté. L’employeur peut donc prononcer une sanction disciplinaire allant jusqu’à au licenciement à l’encontre d’un salarié qui a utilisé une période de congé pour effectuer une formation au sein d’un entreprise concurrente (Cass soc 10 mai 2001).
Est aussi fautif, le fait pour un mécanicien automobile de procéder, pendant une période d’arrêt de travail, à la réparation d’un véhicule pour son compte en faisant appel à un autre salarié de l’entreprise (Cass soc 21 oct 2003 n° 01-43.943, Riady c/ Sté Lea auto).
De même, la Chambre sociale a jugé, dans un arrêt du 3 mai 2011 qu’ « un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail » (Chambre sociale, 3 mai 2011, n° 09-67.464 P+B).
En l’espèce, elle a jugé qu’est justifié le licenciement pour faute grave d’un salarié qui s’était fait retirer la totalité de ses points sur son permis de conduire de sorte qu’il n’était plus en mesure de conduire pour les besoins de son activité.
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Joan DRAY
Avocat à la Cour
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