En principe, le jugement d'une procédure de liquidation judiciaire pour clôture pour insuffisance d'actif ne permet pas aux créanciers de recouvrer leur droit de poursuite individuelle contre le débiteur, qui se trouve alors libéré.
Ce principe est affirmé par l'article L. 643-11, I du Code de commerce, qui dispose que :
“Le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur”.
Par exception, les créanciers peuvent recouvrer ce droit de poursuite malgré le jugement de clôture. Ces exceptions sont limitativement énumérées à l'article L. 643-11 du Code de commerce, et se justifient, de façon générale, par une certaine malhonnêteté du débiteur ou encore une mauvaise gestion répétée. Certaines exceptions tiennent à la nature de la créance elle-même (I), alors que d'autres exceptions tiennent au comportement du débiteur et profitent à tous les créanciers (II).
I/ Les exceptions profitant à des créanciers spécifiquement déterminés par la loi
A/ La reprise des poursuites en cas de condamnation pénale du débiteur
Aux termes de l'article L. 643-11, I, 1° "Le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, sauf si la créance résulte :
1° D'une condamnation pénale du débiteur"
Avant la loi de sauvegarde de 2005, le texte avait cantonné le droit de reprise des poursuites individuelles à seulement deux types de créanciers :
- La victime d'infractions étrangères à l'activité professionnelle
- Le Trésor Public en cas de fraude fiscale
Depuis 2005, le Code de commerce ne distingue plus entre les différentes créances nées de condamnations pénales. C'est ainsi que toute condamnation prononcée par jugement d'une juridiction pénale peut fonder la reprise des poursuites individuelles à l'encontre du débiteur après le jugement de clôture.
B/ La reprise des poursuites en cas de créance résultant de droits attachés à la personne du créancier
Avant la loi du 10 juin 1994, cette exception à la reprise des poursuites visait tout droit attaché à la personne (par opposition aux droits attachés au patrimoine), que cette personne soit le débiteur ou le créancier.
Le cantonnement aux seuls droits attachés à la personne du créancier résulte tout d'abord d'une décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendue en 1992. Elle affirme en effet que cette exception "vise les droits attachés non à la personne du débiteur, mais à celle du créancier" (Chambre commerciale, 31 mars 1992, N°89-19.114).
Cette solution a été reprise par la loi de 1994, puis par la loi de sauvegarde 2005.
Il convient de rappeler que la Cour de cassation contrôle, et admet au cas par cas, l'existence d'un droit personnel ou non.
A titre d'exemple, elle a pu reconnaitre que la créance d'indemnité ou la créance salariale dont est titulaire un salarié à la suite d'un licenciement avait le caractère de droit attaché à la personne (Cour de cassation, Chambre sociale, 29 septembre 2010, N°09-42.679).
Par opposition à ce droit attaché à la personne du salarié, la Cour de cassation a jugé que la créance de remboursement d'un prêt n'est pas un droit attaché à la personne (Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 novembre 2010, N°09-71.160).
C/ La reprise des poursuites au profit de la caution ou du coobligé en cas de paiement en lieu et place du débiteur
L'article L. 643-11-II du Code de commerce dispose que :
"Toutefois, la caution ou le coobligé qui a payé au lieu et place du débiteur peut poursuivre celui-ci".
Cette protection conférée à la caution et au coobligé a été introduite par la loi de 1994, toujours sous l'influence de la Cour de cassation (Chambre commerciale, 8 juin 1993, N°91-13.295).
Il faut préciser que seuls les personnes ayant la qualité de caution ou de coobligé bénéficient de ces dispositions, et non pas tous les "garants". De même, parmi les cautions, seules peuvent se prévaloir de cette disposition celles qui agissent après paiement (et non pas dans le cadre d'un action avant paiement sur le fondement de l'article 2309 du Code civil).
Par ailleurs, la caution dispose des recours qui lui sont conférés habituellement après paiement, à savoir le recours personnel et le recours subrogatoire, sous réserve d'une déclaration de créances à la procédure (Cour de cassation, Chambre commerciale, 12 mai 2009, N°08-13.430).
II/ Les exceptions profitant à l'ensemble des créanciers
A/ La reprise des poursuites en cas de faillite personnelle ou de banqueroute du débiteur
Ce cas permet à tous les créanciers de recouvrer leur droit de poursuite, indépendamment de la nature de leur créance. Ainsi, le débiteur condamné à la faillite personnelle ou au délit de banqueroute se trouve privé du bénéfice de la non-reprise des poursuites.
Avant 2005, cette exception s'appliquait à la condamnation du débiteur à l'interdiction de gérer. Depuis la loi de sauvegarde, cette sanction n'entre plus dans le champs de la reprise des poursuites. Ainsi, les juges choisiront la sanction adéquate entre l'interdiction de gérer, la faillite personnelle ou la banqueroute en considération de la situation et d'une éventuelle reprise des poursuites après le jugement de clôture.
B/ La reprise des poursuites en cas de procédure de liquidation judiciaire antérieure
L'article L. 643-11, III, 3° dispose que les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle lorsque :
"Le débiteur, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, ou une personne morale dont il a été le dirigeant a été soumis à une procédure de liquidation judiciaire antérieure clôturée pour insuffisance d'actif moins de cinq ans avant l'ouverture de celle à laquelle il est soumis".
Ce texte concerne tout d'abord le débiteur, personne personne physique, en tant qu'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Si l'un des patrimoines affecté à une activité a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, clôturée par une insuffisance d'actif, dans les 5 années précédent la nouvelle procédure de liquidation (au titre d'un autre patrimoine), alors ses créanciers recouvrent leur droit de poursuite (mais seulement les créanciers à la nouvelle procédure).
Ensuite, ce texte vise une succession de procédures de liquidation judiciaire, dont l'une a été exercée contre une société (personne morale) et l'autre serait exercée contre le dirigeant (personne physique). Le délai séparant les deux procédures reste celui de cinq années et il court à compter du premier jugement de clôture.
Il a été jugé que "les créanciers ne recouvrent pas leur droit de poursuite individuelle à l'égard du dirigeant d'une personne morale dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif lorsque ce dirigeant n'avait pas lui-même antérieurement fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire avec clôture pour insuffisance d'actif ou été le dirigeant d'une personne morale dont la liquidation judiciaire avait connu la même issue" (Cour de cassation, Chambre commerciale, 9 juin 1998, n° 95-21.620).
Ainsi, cette exception au principe de non-reprise des poursuites est fondée sur l'idée de récidive et a pour objectif une certaine moralisation des dirigeants d'entreprise.
C/ La reprise des poursuites en cas de fraude du débiteur à l'égard d'un ou plusieurs créanciers
L'article L. 643-11, IV dispose que :
"en cas de fraude à l'égard d'un ou de plusieurs créanciers, le tribunal autorise la reprise des actions individuelles de tout créancier à l'encontre du débiteur”.
Il a été jugé que ce texte s'appliquait même lorsque la fraude était intervenue avant l'ouverture de la procédure collective, et quand bien même elle ne serait pas liée à la procédure (Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 février 2005, N°03-14.547).
La fraude peut concerner l'ensemble des créanciers (dissimulation d'actif, actes accomplis en période suspecte) ou l'un, seul, des créanciers (notamment lorsque le débiteur omet de mentionner un créancier sur la liste transmise à l'administrateur). Par ailleurs, la loi de sauvegarde de 2005 a ajouté par ailleurs que la fraude commise à l'égard d'un créancier profite à tous.
La preuve de l'intention frauduleuse doit être rapportée par celui qui l'allègue (Cour de cassation, Chambre commerciale, 12 juillet 2011, N° 10-21.726).
Il est important de rappeler que cette exception à la non-reprise des poursuites relative à la fraude n'est pas une exception de plein droit à l'inverse des autres cas mentionnés. En effet, le tribunal dispose d'un pouvoir d'appréciation et jugera, en fonction des circonstances, si cette fraude existe et/ou si elle peut justifier la reprise des poursuites à l'encontre du débiteur. L'article
L.643-11-IV° du Code de commerce dispose à ce sujet que "le tribunal statue lors de la clôture de la procédure après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, le liquidateur et les contrôleurs. Il peut statuer postérieurement à celle-ci, à la demande de tout intéressé, dans les mêmes conditions".
III/ Le cas particulier des EIRL
Lorsque le débiteur à la procédure collective de liquidation judiciaire est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, les créanciers peuvent recouvrer leur droit de poursuite individuelle après le jugement de clôture. Ce droit de poursuite pourra s'exercer sur les patrimoines non concernés par la liquidation (ordonnance du 9 décembre 2010, N°2010-1512).
En conclusion, ce texte exprime la volonté du législateur de moraliser les comportements du débiteur. Si celui-ci bénéficie en principe de la non-reprise des poursuites, c'est à la condition d'être de bonne foi, d'être honnête et de ne pas être inapte à la gestion.
Il faut également rappeler que les créanciers qui entendent reprendre les poursuites individuelles contre le débiteur doivent impérativement obtenir un titre exécutoire auprès du Président du tribunal. S'ils disposent déjà d'un titre exécutoire, ils doivent faire constater que les conditions de l'article L.643-11 du Code de commerce sont remplis.
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Joan DRAY
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