La résiliation du bail pour trouble de jouissance
D’après l’article 1729 du Code civil, « si le preneur n'use pas de la chose louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail ».
Les troubles de jouissance commis par des locataires dans les logements loués ou dans les parties communes de l’immeuble sont généralement des dégradations, des comportements violents et des trafics de stupéfiants.
Il est difficile de sanctionner judiciairement ceux-ci car d’après la jurisprudence « le trouble anormal de voisinage doit exister et être caractérisé au jour où le juge statue » (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005, n° 04-10.362 : JurisData n° 2005-027086, Bull. civ. 2005, II, n° 50 ; JCP G 2005, II, 10100, note F-G. Trébulle. – CA Paris, 18 déc. 2012).
La loi Alur n° 2014-366 du 24 mars 2014 a ajouté à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 un article 7-1, alinéa 1 que « toutes actions dérivant d'un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit ».
- Les conditions permettant la résiliation du bail pour trouble de jouissance
- L’existence de la violation d’une clause du bail
En principe, la résiliation ne peut être prononcée que pour violation des clauses du bail comme l’a rappelé la Cour de cassation dans cet arrêt :
Cass. 3e civ., C, 18 janv. 1989, Simmonot c/ Guignier
« Vu l'article 1184 du Code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Guignier, administrateur provisoire de la société civile immobilière (SCI) Brandon Frères, composée de deux associés, M. Simmonot et M. Rinuy, et ayant pour objet l'exploitation de l'immeuble sis 49, rue de Provence à Paris, occupé par M. Simmonot, a demandé la résiliation du bail consenti par la SCI à ce dernier ;
Attendu que pour prononcer la résiliation du bail aux torts de M. Simmonot, l'arrêt retient que celui-ci payant un très faible loyer et ayant su que M. Rinuy souhaitait se retirer de la SCI dont les biens devraient alors être liquidés, a fait venir dans les lieux le cabinet Maulvault auquel il a consenti le 3 janvier 1979 un bail qui rendait l'immeuble pratiquement invendable ;
Qu'en statuant ainsi, sans relever une inexécution par M. Simmonot de ses obligations contractuelles de locataire la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »
Ce principe s’explique à travers l'article 1728 du Code civil qui énonce que le locataire titulaire d'un bail d'habitation doit jouir paisiblement des lieux loués comme un bon père de famille, et particulièrement s'abstenir de tout comportement causant un trouble anormal de voisinage, quel qu'il soit.
A titre d’exemple, le locataire qui, en dépit des avertissements et des mises en demeure, n'a pas modifié son comportement à l'origine des troubles anormaux du voisinage en laissant se propager de manière indiscutable des odeurs nauséabondes depuis son logement et depuis la cour attenante, dans lesquelles il accumule les immondices a manqué à ses obligations (CA Poitiers, 2e ch., 22 juin 2004, n° 03/00788 : JurisData n° 2004-256682).
Il faut souligner que les troubles peuvent provenir d'un comportement agressif du locataire, de ses enfants ou de toute autre personne dont il répond en application de l'article 1735 du Code civil (CA Dijon, 29 janv. 2008 : JurisData n° 2008-355075. – CA Pau, 2e ch., 8 nov. 2007, n° 07/00317 : JurisData n° 2007-355034).
- Le lieu du trouble
L'origine du trouble doit se situer dans l'immeuble (Cass. 3e civ., 14 oct. 2009, n° 08-16.955 : JurisData n° 2009-049877) ou à proximité comme sur le trottoir devant l'immeuble (Cass. 3e civ., 15 juin 1994, n° 92-16.991 : JurisData n° 1994-001791 ; , Loyers et copr. 1994, comm. 369)
Toutefois, la jurisprudence a atténué cette notion de proximité en considérant qu’il importe peu que les faits se soient déroulés dans des immeubles relativement éloignés (Cass. 3e civ., 9 juill. 2014, n° 13-14.802 : JurisData n° 2014-016091)
- Les différents auteurs et victimes
Le trouble de jouissance n'est pas uniquement un acte d'incivilité du locataire en titre puisqu’il peut s’agir également :
- Des occupants du chef du locataire ;
- Les personnes qu'il héberge comme ses enfants résidant dans le logement (Cass. 3e civ., 10 nov. 2009, n° 09-11.027 : JurisData n° 2009-050345 ; Loyers et copr. 2010, comm. 1, obs. B. Vial-Pedroletti.).
Quant à la victime, il pourra s'agir du bailleur lui-même, des autres locataires ou de tiers comme les gardiens d'immeuble (Cass. 5 mars 2013, n° 12-12.177).
En revanche, en l'état actuel de la jurisprudence, il n'est pas possible de sanctionner par la résiliation de bail un trouble de jouissance du locataire visant les personnels des entreprises prestataires du bailleur (Cass. 3e civ., 17 sept. 2008, n° 07-13.175 : JurisData n° 2008-045050 ; Loyers et copr. 2008, comm. 244, note B. Vial-Pedroletti).
- L’apport de la preuve du trouble par le bailleur
Les règles de droit commun considèrent que « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation » (article 1315 du Code civil) et « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » (article 9 du Code de procédure civile).
Le bailleur pourra apporter la preuve par lui-même ou alors solliciter l'intervention des forces de l'ordre à l'égard des personnes qui, en occupant un espace commun, entravent l'accès et la libre circulation, empêchent le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité ou nuisent à la tranquillité des lieux (CCH, art. L.126-2).
De plus, sous certaines conditions, pourront être exploités les enregistrements d'un système de vidéosurveillance des parties communes de l'immeuble à la condition qu'ils respectent les dispositions de la loi dite Informatique, fichiers et libertés du 6 janvier 1978 comme preuve apportée par le bailleur.
- Les effets de la résiliation du bail pour trouble de jouissance
La demande en résolution ne doit pas nécessairement être précédée d'une mise en demeure, d'une sommation ou d'un commandement adressé à la partie en faute (Cass. 3e civ. 4 mai 2000 : D. 2000, AJP 305, note Y. Rouquet).
La jurisprudence a rappelé récemment dans un arrêt cette idée :
CA Paris, 5 janv. 2016 n° 14/08260
« Considérant que XXX fait justement valoir qu'il n'existe aucune condition de mise en demeure préalable pour agir en résiliation de bail pour défaut de jouissance des locataires en bon père de famille »
La résolution du bail, conformément à l'article 1184, ne se produit pas de plein droit, mais doit être demandée en justice (Cass. 3e civ., 24 avr. 1974 : JCP G 1974, IV, 203. – CA Paris, 6e ch. A, 20 déc. 1988 : Administrer mai 1989, p. 17).
N'ayant par principe pas d'effet rétroactif, la résiliation du bail ne prend effet que du jour de la décision qui la prononce et non du jour de l'assignation selon la jurisprudence suivante :
Cass. 3e civ., 31 janv. 2001 : JurisData n° 2001-008159 ; Loyers et copr. 2001, comm. 86. – V. dans le même sens, CA Paris, 16e ch. B, 30 mars 2001 : JurisData n° 2001-141065
« Vu les articles 1741 et 1184 du Code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société immobilière de gestion Clichy Wattignies (IGCW) a donné à bail à Mme Duboc, aux droits de laquelle se trouve la Société française d'études de gestion et d'investissements (SOFREG), des locaux situés dans un immeuble en copropriété à usage de restauration, salon de thé, vente d'herbes et produits naturels, cadeaux, artisanat et galerie d'art ; qu'en septembre 1994, le restaurant exploité dans les lieux par la société Sofregi a fait l'objet d'une fermeture administrative jusqu'à l'installation d'un conduit d'évacuation conforme à la réglementation ; que, n'ayant pas obtenu l'autorisation de procéder à l'installation de cet équipement, la locataire a assigné la bailleresse en résiliation du bail et indemnisation de son préjudice ;
Attendu, que la cour d'appel prononce la résiliation du bail aux torts de la bailleresse à la date de l'assignation, soit le 20 octobre 1994 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la résiliation d'un bail ne prend effet que du jour de la décision qui la prononce, la cour d'appel a violé les textes susvisés »
Il est important de prendre en compte que la résolution produit son effet aussi bien à l'encontre des sous-locataires qu'à l'encontre du locataire principal (Cass. 3e civ., 1er oct. 1997 : JurisData n° 1997-003918 ; Loyers et copr. 1997, comm. 303).
L'article 1760 du Code civil dispose qu'en cas de résiliation du bail par la faute du locataire, celui-ci est tenu de payer le prix du bail pendant le temps nécessaire à la relocation sans préjudice des dommages-intérêts qui ont pu résulter de l'abus.
L'article 1760 n'étant applicable qu'à l'indemnisation du bailleur subissant un préjudice du fait de l'inoccupation prématurée des lieux loués, une cour d'appel ne peut, sur le fondement de ce texte, condamner un locataire au paiement d'une indemnité d'occupation pour une période pendant laquelle sa compagne colocataire s'était maintenue dans les lieux (Cass. 3e civ., 10 janv. 1990, n° 88-17.588 : JurisData n° 1990-000077 ; Bull. civ. 1990, III, n° 8 ; Defrénois 1990, p. 1090, obs. Vermelle).
La disposition de l'article 1760 doit être entendue en ce sens que le locataire est tenu de payer le loyer non pendant tout le temps qui s'écoulera jusqu'à ce que le propriétaire ait effectivement reloué, mais pendant le temps ordinaire laissé au propriétaire pour trouver un nouveau locataire, c'est-à-dire pendant le temps fixé pour les congés par l'usage des lieux (Cass. req., 1er juill. 1851 : DP 1851, 1, p. 249 ; S. 1851, 1, p. 481).
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Joan DRAY
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