Faits :
Le 29 septembre 2008, Monsieur Vincent LAMBERT, né en 1976, infirmier en psychiatrie, tout jeune papa, a été victime d’un accident de la circulation qui lui a causé un grave traumatisme crânien. Après cet accident, il a été hospitalisé pendant trois mois dans le service de réanimation du centre hospitalier de Châlons en Champagne. Il a ensuite été transféré dans le service de neurochirurgie de ce centre, avant d’être accueilli pendant trois mois au centre de rééducation de Berck – sur – Mer dans le département des blessés crâniens. Après ce séjour, il a été hospitalisé au centre hospitalier universitaire de Reims, où, en raison de son état de tétraplégie et de complète dépendance, il est pris en charge pour tous les actes de la vie quotidienne et est alimenté et hydraté de façon artificielle par voie entérale.
Il a ensuite été admis en juillet 2011 au Coma Science Group du centre hospitalier universitaire de Liège pour un bilan diagnostic et thérapeutique. Après avoir pratiqué des examens approfondis, ce centre a conclu qu’il était dans un « état de conscience minimale plus » avec une perception de la douleur et des émotions préservées. Après le retour de Monsieur LAMBERT au centre hospitalier universitaire de Reims, quatre-vingt-sept séances d’orthophonie ont été pratiqués pendant cinq mois, du 06 avril au 3 septembre 2012, pour tenter d’établir un code de communication mais ces séances ne sont pas parvenues à mettre en place un code de communication du fait de la non-reproductibilité des réponses.
Au cours de l’année 2012, des membres du personnel soignant ont constaté des manifestations comportementales chez Monsieur LAMBERT. Ils les ont interprétées comme une opposition aux soins faisant suspecter un refus de vivre.
A la suite de ces constats et en se fondant sur l’analyse qu’il faisait de l’absence d’évolution neurologique favorable du patient, le médecin, chef du service dans lequel il séjourne, a engagé la procédure collégiale de réflexion prévue par l’article R.4127-37 du code de la santé publique. Celle – ci avait pour but d’apprécier si la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielle de Monsieur LAMBERT était constitutive d’une obstination déraisonnable au sens de l’article L.1110-5 du même code.
A l’issue de cette procédure collégiale, le médecin a décidé d’arrêter la nutrition du patient, seul traitement de Monsieur LAMBERT. Avant d’y procéder, il a consulté l’épouse du patient, infirmière elle aussi et certains membres de la fratrie. Exprimant leur accord, l’alimentation a été arrêtée et l’hydratation artificielle a été diminuée le 10 avril 2013.
Procédure :
N’ayant pas été informés de cette décision médicale, les parents du patient ainsi que certains membres de la fratrie ont saisi le juge administratif d’un référé liberté afin que ce dernier prononce la reprise des traitements au motif que ce manque d’informations portait atteinte au droit à la vie de leur fils et frère garantis par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Par ordonnance du 11 mai 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons en Champagne a fait droit à leur demande et a enjoint de rétablir l’alimentation et l’hydratation artificielle du patient (après 31 jours d’arrêt) puisque seule l’épouse avait été informée de la mise en œuvre de la procédure, associée à son déroulement et informée de la décision d’arrêt de traitement prise par le médecin.
Cinq mois plus tard, le médecin a engagé une nouvelle procédure. Il a ainsi consulté l’épouse du patient, ses parents et ses huit frères et sœurs lors de deux réunions tenues les 27 septembre et 16 novembre 2013. Puis, le 9 décembre 2013, il a tenu une réunion à laquelle ont participé deux autres médecins du centre hospitalier universitaire de Reims qui s’occupent du patient, et presque toute l’équipe soignante en charge du patient. Quatre médecins consultant extérieurs au service ont été associés à cette réunion, dont l’un a été désigné par les parents du patient. Tous se sont déclarés favorables à l’arrêt de traitements envisagés sauf le médecin extérieur désigné par les parents du patient.
Qui plus est, au regard de l’état de santé du patient caractérisé par la nature irréversible des lésions cérébrales dont il est atteint, l’absence de progrès depuis l’accident et la consolidation du pronostic fonctionnel ; et par la certitude qu’ « il ne voulait pas, avant son accident vivre dans de telles conditions », le médecin, responsable du service dans lequel séjourne le patient a estimé que la poursuite des traitements administrés au patient traduisait une obstination déraisonnable au sens de l’article L.1110-5 du Code de la santé publique. Par conséquence, le médecin a décidé le 11 janvier 2014, de mettre fin à l’alimentation et l’hydratation artificielles du patient à compter du lundi 13 janvier 2014 à 19 heures, l’exécution de cette décision devant toutefois être différée en cas de saisine du tribunal administratif.
Mécontents, les parents du patient et certains membres de la fratrie ont à nouveau saisi le juge des référés pour voir interdire l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, et ainsi prononcer leur rétablissement aux motifs, que les dispositions de la loi LEONETTI violent la Convention européenne des droits de l’homme, que l’alimentation et l’hydratation ne sont pas des traitements pouvant être suspendus, et que la situation de leurs fils ne peut être qualifiée de fin de vie mais de handicap.
Le 16 janvier 2014, le juge du tribunal administratif de Châlons en Champagne, statuant en référés, sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative a fait droit à leur demande et a suspendu l’exécution de la décision du médecin du 11 janvier 2014 aux motifs d’une part, « que la poursuite du traitement n’était ni inutile ni disproportionnée et n’avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie » ; que le médecin « a apprécié de manière erronée la volonté du patient en estimant qu’il souhaiterait opposer un refus à tout traitement le maintenant en vie » ; et que « la décision de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation du patient constitue une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à la vie ».
Le 28 janvier 2014, l’épouse du patient, certains membres de la fratrie ainsi que l’hôpital font appel de ce jugement devant le Conseil d’Etat pour demander l’arrêt du maintien en vie artificielle du patient.
Le 14 février 2014, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a ordonné qu’il soit procédé à une expertise en vue de déterminer la situation médicale du patient par un collège de trois médecins disposant de compétences reconnues en neurosciences. Il a en effet estimé que les éléments médicaux figurant au dossier qui lui était soumis ne lui fournissaient pas une information suffisamment complète pour lui permettre de statuer sur le litige. L’expertise a été initié pour connaître l’état clinique actuel du patient, le caractère irréversible des lésions cérébrales dont il souffre, le pronostic clinique, le point de savoir s’il est en mesure de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage et sur l’existence éventuelle de signes manifestant une volonté d’interruption ou au contraire de prolongation du traitement qui le maintient en vie. De plus, il a invité le Comité consultatif national d’éthique et le Conseil national de l’Ordre des médecins à lui présenter des observations écrites de caractère général de nature à l’éclairer utilement sur l’application des notions d’obstination déraisonnable et de maintien artificiel de la vie au sens de l’article L.1110-5 du Code de santé publique, en particulier à l’égard des personnes qui sont dans un état pauci-relationnel.
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat a néanmoins résolu plusieurs questions nécessaires à la résolution du litige.
En effet, il a jugé que les dispositions du code de la santé publique issues de la loi du 22 avril 2005 relatives à l’arrêt de traitement en cas d’obstination déraisonnable s’appliquent que le patient soit ou non en fin de vie et peuvent donc concerner l’état dit pauci-relationnel dans lequel se trouve le patient.
De plus, il a considéré que l’alimentation et l’hydratation artificielles du patient constituent des traitements au sens de cette loi.
Il a par ailleurs précisé qu’il appartient au juge du référé liberté d’exercer ses pouvoirs de manière particulière lorsqu’il doit concilier les deux libertés fondamentales que sont le droit à la vie et celui de ne pas subir un traitement traduisant une obstination déraisonnable. Cette conciliation implique qu’il s’assure, en étant éclairé sur la situation médicale du patient, de ce que la décision médicale d’interrompre le traitement relevait bien des hypothèses prévues par la loi.
Le 26 mai 2014, le collège d’experts désigné a déposé son rapport d’expertise définitif. En réponse à l’invitation faite par l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 février 2014, l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif d’éthique, le Conseil national de l’Ordre des médecins ont, pour leur part, déposé des observations de caractère général en application des articles R.625-3 du Code de justice administrative.
Le médecin en charge du patient a t – il respecté les conditions mises par la loi pour que puisse être prise une décision mettant fin à l’alimentation et d’hydratation artificielle d’un patient ?
Le Conseil d’Etat a tranché le litige le 24 juin 2014.
Par un arrêt très attendu, la Haute juridiction administrative a jugé qu’ « il résulte de l’ensemble des considérations que les différentes conditions mises par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable peuvent – être regardées comme réunies ».
En conséquence, la décision du 11 janvier 2014 du médecin de mettre fin à l’alimentation et l’hydratation artificielles du patient ne peut – être tenue pour illégale.
1/Le Conseil d’Etat s’est tout d’abord prononcer sur le respect de la procédure préalable à l’adoption de la décision du 11 janvier 2014 et a considéré qu’elle était conforme aux dispositions de l’article R.4127-37 du Code de la santé publique car elle n’a été entachée d’aucune irrégularité.
Il a ainsi constaté, d’une part, « qu’il résulte de l’instruction que la procédure collégiale menée par le docteur, chef du service prenant en charge le patient, s’est déroulée conformément aux prescriptions de l’article R.4127-37 du code de la santé publique et a comporté, alors que les dispositions de cet article exigent que soit pris l’avis d’un médecin et, le cas échéant d’un second, la consultation de six médecins ». D’autre part, « qu’il ne résulte pas de l’instruction que certains membres du personnel soignant auraient été délibérément écartés de cette réunion » ; et que les circonstances que le docteur se soit opposé à une demande de récusation et au transfert du patient dans un autre établissement et qu’il se soit publiquement exprimé ne traduisent pas de manquement aux obligations qu’implique le principe d’impartialité. Qu’ainsi, contrairement à ce qui était soutenu devant le tribunal administratif, la procédure préalable à l’adoption de la décision du 11 janvier 2014 n’a été entachée d’aucune irrégularité ».
2/ Le Conseil d’Etat s’est ensuite intéressé aux conclusions des experts et en a conclu que conformément à l’analyse du médecin, le patient est dans un état végétatif avec des lésions cérébrales graves, étendues et irréversibles ; que son état de conscience est dégradé depuis son accident, et que les réactions aux soins qui lui sont prodigués constituent des réponses non conscientes ».
Il a ainsi statué « qu’il ressort des conclusions des experts que l’état clinique actuel du patient correspond à un état végétatif, avec des troubles de la déglutition, une atteinte motrice sévère des quatre membres , quelques signes de dysfonctionnements du tronc cérébral et une autonomie respiratoire préservée ; que les résultats des explorations cérébrales structurales et fonctionnelles effectuées au CHU de la Pitié Salpêtrière de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris sont compatibles avec un tel état végétatif et que l’évolution clinique suggère une dégradation de l’état de conscience depuis cette date ». De plus, il a précisé que « les explorations cérébrales auxquelles il a été procédé ont mis en évidence des lésions cérébrales graves, étendues et irréversibles ; et que « les réactions aux soins prodigués au patient constituent des réponses non conscientes ».
3/ Le Conseil d’Etat s’est ensuite intéressé aux souhaits du patients conformément aux dispositions du Code de la santé publique, et a considéré qu’il peut en être tenu compte sous une autre forme que celle des directives anticipées (en l’espèce des témoignages).
Il a ainsi constaté « qu’il résulte de l’instruction, et en particulier de témoignages, que le patient avait clairement et à plusieurs reprises exprimé le souhait de ne pas être maintenu artificiellement en vie dans l’hypothèse où il se trouverait dans un état de grande dépendance ; que plusieurs frères et sœurs du patient ont indiqué que ces propos correspondaient à la personnalité, à l’histoire et aux opinions personnelles de leur frère ».
4/ Le Conseil d’Etat a ensuite précisé que le médecin doit obligatoirement recueillir l’avis des membres de la famille du patient avant toute décision d’arrêt du traitement ; mais que le défaut d’opinion unanime des membres de la famille n’est pas de nature à faire obstacle à la décision médicale.
Conférence de presse du Conseil d’Etat :
La décision rendue aujourd’hui par le Conseil d’Etat, a été éclairée par toutes ces analyses. Elle s’inscrit dans le cadre tracé par la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti. Cette loi confie au médecin la responsabilité de décider, sans y être jamais tenu, de l’arrêt de traitement, lorsque celui – ci apparaît inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit en fin de vie ou non. La décision du Conseil d’Etat souligne aussi que la loi Leonetti est compatible avec la convention européenne des droits de l’Homme dont l’article 2 protège le droit à la vie.
Le Conseil d’Etat a explicité les conditions qu’impose la loi pour arrêter un traitement. Le médecin doit prendre en considération un ensemble de critères médicaux et non médicaux en fonction de la situation particulière de chaque patient. Il doit mettre en œuvre une procédure collégiale et associer au moins un autre médecin et l’équipe soignante ainsi que la famille ou les proches du patient. Le Conseil d’Etat a aussi souligné avec la plus grande netteté que l’état médical le plus grave, y compris la perte irréversible de toute conscience, ne peut jamais suffire à justifier un arrêt de traitement. Il a également affirmé qu’une « attention toute particulière » doit être accordée à la volonté du patient. Si celle – ci est inconnue, en aucun cas elle ne peut être présumée refuser la poursuite du traitement.
Dans le cas particulier de Monsieur Vincent LAMBERT, la procédure collégiale préalable à la décision d’arrêts des traitements a été régulière. Sur le plan médical, les conclusions claires et unanimes du collège d’experts montrent que le patient est atteint de lésions cérébrales très sévères et irréversibles. Il se trouve désormais dans un état végétatif avec un mauvais pronostic clinique. Enfin, il résulte de l’instruction qu’il avait avant son accident, clairement et à plusieurs reprises, exprimé le souhait de ne pas être artificiellement maintenu en vie, au cas où il se trouverait dans un état de grande dépendance. L’ensemble des informations recueillies sur l’histoire et l’opinion personnelle de Monsieur Vincent LAMBERT ont par conséquent conduit le Conseil d’Etat à estimer que l’arrêt des traitements dans une telle situation correspondait à sa volonté.
Au vu de tous ces éléments médicaux et non médicaux, le Conseil d’Etat a jugé que le médecin en charge de Monsieur Vincent LAMBERT avait respecté les conditions imposées par la loi pour l’arrêt des traitements. Après avoir recueilli l’avis de six autres médecins et de la famille, il a pu, sans commettre d’illégalité, et aussi douloureuse que soit cette décision, estimer que la poursuite des traitements traduisait une obstination déraisonnable.
Conformément à sa mission, le Conseil d’Etat a veillé à l’application régulière de la loi par le corps médical, dans les circonstances très particulières de cette affaire, auxquelles le Conseil d’Etat n’a pas cessé d’être attentif.
Recours des parents à la CEDH
Suite à la décision du Conseil d’Etat, les parents du patient ont aussitôt saisi la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre de la procédure d’urgence prévue par l’article 39 du règlement de la Cour. Ils justifient leur demande à l’appui des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme relatifs au droit à la vie et à l’interdiction des mauvais traitements.
La Cinquième section de la Cour européenne des droits de l’homme, a, le 24 juin 2014, indiqué au gouvernement français de faire suspendre l’arrêt du Conseil d’Etat du même jour, pour la durée de la procédure devant la Cour. Elle a précisé que cette mesure implique que Monsieur Vincent LAMBERT ne soit pas déplacé avec le but d’interrompre le maintien de son alimentation et de son hydratation.
En outre, elle a décidé que la requête serait traitée en priorité en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour. Par ailleurs, elle a invité le gouvernement français à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
- La Cour devra d’abord se prononcer sur la recevabilité et le bien-fondé de la demande. Puis elle devra statuer sur le fond de l’affaire. Elle devra notamment étudier la loi Leonetti sur la fin de vie mais aussi la façon dont la décision d’arrêter les traitements a été prise pour déterminer si tout s’est déroulé dans le respect de la Convention européenne des droits de l’homme.