La gérance de paille
Il y a gérance de paille (ou en prête-nom) lorsqu’une personne (physique ou morale) assume de manière purement fictive les fonctions de direction d’une société, afin qu’une tierce personne réalise sous son nom des affaires. Ce tiers, qui agit dans l’ombre mais qui contrôle effectivement la société, est le dirigeant de fait (que l’on oppose à l’homme de paille, dirigeant de droit).
Le gérant de fait est celui qui a la réalité du pouvoir sans en avoir le titre. L’homme de paille a le titre, mais non le pouvoir (M. Cozian et A. Viandier, Droit des sociétés, 3e éd., 1990, n° 1319).
D’un point de vue juridique, la gérance de paille peut être utilisé pour des raisons fiscales ou pour contourner les diverses interdictions prévues par la loi ou par un contrat. Par exemple, un salarié qui envisage de créer une société dans le même secteur que celle qui l’emploie et à laquelle il est obligé par une clause de non-concurrence.
Elle peut aussi bien concerner un fonctionnaire qui souhaite créer une société commerciale qu’un dirigeant concerné par une procédure de liquidation judiciaire et qui voit prononcé à son encontre une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale pendant une durée déterminée (art. L 653-1 et L 653-8 Code de commerce).
Cette situation, par nature frauduleuse, peut déboucher sur de lourds contentieux. Et bien souvent, lorsque les problèmes surviennent chacun (dirigeant de droit et dirigeant de fait) tente de se retrancher derrière son rôle effectif.
Il est intéressant de déterminer quelles sont les responsabilités respectives du dirigeant de fait (I) et de l’homme de paille (II).
I Responsabilité du dirigeant de fait
N’apparaissant pas dans les statuts par définition, le juge doit d’abord déterminer qui est le dirigeant de fait en utilisant un faisceau d’indices (1). Ensuite il appliquera les règles applicables au dirigeant de droit (2).
1. Qualification du dirigeant de fait
Aux termes d’une jurisprudence constante, le dirigeant de fait est la personne, physique ou morale, qui exerce en toute indépendance une activité de gestion et de direction de la société (Com., 4 mars 2003, n° 01-01.115).
La direction de fait peut être assuré par une personne morale. Ainsi, peut-être condamnée à combler le passif d’une société faisant l’objet d’une procédure collective, la personne morale qui, sans être dirigeant de droit de cette société, a exercé en fait, par l’intermédiaire d’une personne physique qu’elle a choisie et qui a agi sous son emprise, des pouvoirs de direction sur la société (Com., 27 juin 2006, n° 04-15.831).
Elle peut être le fait d’une personne physique. À ce titre, la Cour de cassation considère que la notion de dirigeant de fait s'applique tant en matière de sanctions personnelles qu’en matière de sanctions patrimoniales, et relève de l'interprétation souveraine des juges du fond (Com., 13 juin 1989 ; Com., 6 janv. 1998 : JurisData n° 1998-000002 ; Com., 7 juill. 1998).
La qualification de dirigeant de fait implique, pour les juges du fond, de caractériser les motifs propres à démontrer que la personne a exercé en toute indépendance une activité positive de gestion de l’ensemble de la personne morale (Com., 13 févr. 2007, n° 05-20.126).
Par exemple, doit être considéré comme dirigeant de fait, et assumer en conséquence la responsabilité du bon fonctionnement de l'entreprise, l'individu qui, dans une société, « embauchait les salariés, dirigeait leur activité et les licenciait » (Crim., 6 déc. 2006, no 06-81.860).
Le fait que le dirigeant de fait soit rémunéré ou non importe peu (Com., 16 févr. 1999).
Il est possible d'engager la responsabilité pénale d'un ancien dirigeant de droit, pour des faits commis dans la société après son départ, dès lors que cet ancien dirigeant a conservé indirectement le contrôle de l'entreprise (Crim., 12 mai 1998, no 96-86.479).
La qualification de dirigeant de fait a pour principale conséquence l’assimilation du dirigeant de fait au dirigeant de droit.
2. Principe d’assimilation du dirigeant de fait au dirigeant de droit
Il y a un principe d'assimilation des dirigeants de droit et des dirigeants de fait en matière de sanctions.
Par exemple, le dirigeant de fait peut être condamné au paiement de l’insuffisance d’actif ou des dettes sociales de la même façon que s’il avait été dirigeant de droit (art. L 651-2 Code de commerce).
Chaque fois que le législateur vise les dirigeants d'une personne morale, il s'agit aussi bien des dirigeants de droit que des dirigeants de fait, ceux qui ont eu la maîtrise effective de la personne morale et ont réellement commis les faits reprochés, que ce fût de manière apparente ou occulte, avec ou sans rémunération.
En matière de responsabilité pénale des entreprises, lorsque le dirigeant de droit n'est qu'un homme de paille, le juge répressif doit rechercher qui est l'auteur véritable de l'infraction constatée et punir ainsi le dirigeant de fait (art. L. 241-9, L. 245-16, L. 246-2 du code de commerce).
S’agissant d’une disposition d'ordre public économique, les dispositions sur la faillite personnelle s'appliquent aux étrangers qui ont dirigé une société commerciale française en France (TGI Strasbourg, 7 févr. 1983).
Le principe d’assimilation est également appliqué par l’administration fiscale. Ainsi, l'avis de vérification de la comptabilité d'une société peut être valablement remis à la personne dont la qualité de dirigeant de fait est constatée (Crim. 24 avr. 1984).
II Responsabilité du dirigeant de droit.
Loi d’être exclusive de la responsabilité du dirigeant de fait (2), la gérance de paille ne constitue pas une circonstance atténuante (1).
1. La gérance de paille ne constitue pas une circonstance atténuante.
Alors qu’il ne fait qu’exécuter les décisions du dirigeant de fait, l’homme de paille, dirigeant de droit, peut se voir reprocher des fautes de gestion graves et lourdes de conséquences (absence de déclaration de l’état de cessation de paiement dans le délai légal ; comptabilité irrégulière ou incomplète ; activité déficitaire).
En aucun cas, la gérance de paille ne peut être invoquée comme une excuse pour réduire les sanctions patrimoniales qui découlent d’une liquidation judiciaire. Elle est une circonstance aggravante (CA Paris, 9e ch, 21 janvier 2010, JurisData n°2010-000362 ; CA Paris, 8 nov. 2007).
Par conséquent, un dirigeant de droit ne peut se soustraire à la faillite personnelle en démontrant qu'il n'est qu'un homme de paille ayant servi de prête-nom au maître de l'affaire (Com., 12 novembre 1991 ; CA Paris, 9 novembre 1990 : JurisData n° 1990-024338 ; CA Paris, 9 janvier 1996) ou qu'il n'exerce effectivement aucun pouvoir (CA Lyon, 2 novembre 2006 : JurisData n° 2006-336993).
La qualité de dirigeant de paille n’est donc pas une excuse mais une faute en soit. Il est ainsi dangereux d’accepter des fonctions de gérant « pour rendre service ».
2. Responsabilité conjointe des dirigeants
En présence d’une gérance de paille, les juges recherchent la responsabilité des deux protagonistes.
La question s’est posée de savoir si un dirigeant de fait et un dirigeant de droit pouvaient voir leur responsabilité pénale conjointement engagée à raison d'une même infraction.
La Cour de cassation a admis ce cumul, s'agissant d'une infraction fiscale (Crim., 15 novembre 2000, n° 00-81.166).
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Joan DRAY
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