I/ la qualification de la faute grave
Il n’y a pas de définition précise de la faute grave.
L’article L1331-1 du code du travail dispose que :
« La faute disciplinaire se qualifie comme un agissement du salarié que l'employeur considère comme fautif. »
Elle résulte d’un fait ou d’un ensemble de fait imputable au salarié qui constitue une violation des obligations contractuelles d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
Mais depuis 2007, la Cour de Cassation a supprimé toute référence à la notion de préavis puisque désormais la faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. (Cass. soc. 27-9-2007 n° 06-43.867 : RJS 12/07 n° 1261).
Cet arrêt confirme la jurisprudence selon laquelle l'employeur qui verse des indemnités de rupture à un salarié, alors qu'il n'y a pas droit, ne perd pas ce faisant le droit de se prévaloir d'une faute grave à l'appui du licenciement.
Ainsi, la faute disciplinaire doit revêtir certains caractères.
- Elle doit, tout d'abord, reposer sur la violation délibérée d'une obligation professionnelle.
- Dès lors que le comportement du salarié n'est pas relatif à sa prestation de travail, il ne peut constituer une faute disciplinaire.
- Ensuite, les agissements du salarié ne sont fautifs qu'en ce qu'ils montrent la volonté de ce dernier de se soustraire à ses obligations ou de nuire à l'employeur
La commission d'un fait fautif isolé peut justifier un licenciement, sans qu'il soit nécessaire
qu'il ait donné lieu à un avertissement préalable.(Cass. soc., 01-07-2008, n° 07-40.053, société Téléperformance France, FP-P+B)
En revanche, L'employeur qui a laissé le salarié exécuter son préavis ne peut plus invoquer une faute grave à son encontre. La faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Une cour d'appel ne saurait juger le licenciement fondé sur une faute grave après avoir constaté que l'employeur avait accepté la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis en soumettant le salarié à un contrôle strict.(Cass. soc. 12 juillet 2005 n° 1619 F-PB, Laly c/ Sté AC Plus.)
Elle est appréciée souverainement par les juges du fond.
Peuvent constituer une faute grave : des injures, des comportements violents, le refus d’exécuter le travail, un abandon de poste, le harcèlement, des agissements de concurrence déloyale, etc.
- Atténuation du degrés de gravité de la faute
Les juges font appel à des indices permettant d’atténuer la gravité d’une faute.
Ces derniers prennent en compte l’ancienneté du salarié, son âge, sa qualification, son attitude préalable, l'inexistence de sanctions antérieures ou la répétitivité des manquements, les usages professionnels, le contexte dans lequel la faute est intervenue, la provocation par l’employeur…L’appréciation se fait donc in concreto.
La Cour de cassation n’hésite pas à invoquer l’existence de circonstances particulières entourant les faits pour alléger le degré de gravité de la faute.
- Prescription des fautes graves
L’employeur dispose de deux mois à compter du jour où il a eu la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié pour engager la procédure disciplinaire (Cass. soc. 17 février 1993 ).
Lorsque le licenciement est prononcé près de 2 mois après la connaissance du fait fautif (Cass. soc. 1-10-2003 n° 01-43.230 : RJS 2/04 n° 185) ou lorsque l'employeur a laissé le salarié exécuter son préavis (Cass. soc. 15-5-1991 n° 87-42.473 : RJS 6/91 n° 694 ; 12-7-2005 n° 03-41.536 : RJS 10/05 n° 963)
L’employeur est tenu de respecter les délais de prescription posés par le législateur.
L'article L. 1332-4 du Code du travail prévoit qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
Sauf si des poursuites pénales ont commencé, passé ce délai de deux mois, aucune procédure disciplinaire ne peut plus être engagée.
L'employeur se voit, en outre, interdire d'invoquer, à l'appui d'une nouvelle sanction, une sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement de poursuites.
Illustrations de la notion de fautes graves et actualité jurisprudentielle
Ne constitue pas une faute grave : l'incompétence, l'insuffisance de rendement, la perte de confiance, le cumul irrégulier d'emplois, un départ inopiné résultant d'une raison médicale avérée,
envisager de créer sa propre entreprise sans avoir commis d'actes de concurrence.
Constitue une faute grave : la réduction volontaire de l'activité ou la non-conformité aux directives explicites concernant les modalités d'exécution de la tâche, le dénigrement des décisions de gestion ou de stratégie commerciale, l'insoumission à une sanction disciplinaire justifiée et proportionnée au grief, l'activité dissimulée, à caractère professionnel, pendant un arrêt maladie,
la présentation d'un document falsifié (pour justifier d'une absence, pour obtenir des remboursements indus), Le refus du salarié d'accomplir sa prestation de travail dans les prévisions de son contrat est constitutif d'une faute grave Cass.soc. 13 juillet 2010).
1/Un arrêt du 3 juillet 2001 a précisé qu’aucune personne ne peut être sanctionnée en raison de son état de santé; que le fait de quitter son poste en raison de son état de santé afin de consulter un médecin ne constitue pas, en soi, une faute de nature à justifier le licenciement.
2/Le vol commis par un salarié au préjudice d'un client de l'employeur caractérisant, alors même que l'objet soustrait serait de faible valeur, une faute grave de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis (Cass.soc. 16 janvier 2007 )
3/Un arrêt du 13 juillet 2010 a considéré que la faute grave pouvait exister en l'état de propos nuisibles à la réputation de l'employeur, que constitue une faute grave le fait pour un salarié d'abuser de sa liberté d'expression en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs,
4/La Cour de Cassation a jugé que le salarié qui injurie un client de l’entreprise, commet une faute grave et ce, même si le client n’a pas pris au sérieux ses menaces.
La gravité d’une faute n'est pas subordonnée à l'existence d'un préjudice subi par l'employeur. Il suffit pour que la faute grave soit retenue que les manquements reprochés au salarié soient établis et qu'ils interdisent le maintien de l’intéressé dans l'entreprise. (Cass. soc. 13 juillet 2010 n° 09-42.127 (n° 1579 F-D), Sté G Phébus c/ Giroix).
5/ La Cour de Cassation a jugé que le salarié qui fume dans un établissement classé en dépit de l’interdiction générale de fumer, commet une faute grave.
Dans ce cas, il s’agissait d’une entreprise qui était exposé à des risques d’incendie importants compte tenu de la nature de l’activité de l’entreprise. (Cass. soc. 1er juillet 2008 n° 06-46.421Vanlerberghe c/ Sté Cartonneries de Gondardennes).
Il faut garder à l’esprit qu’un salarié peut reprocher à son employeur de ne pas faire respecter la loi sur le tabagisme.
Il faut rappeler que L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé physique et mentale de ses salariés, en application de l'article L 4121-1 du Code du travail.
6/ La Cour de Cassation a jugé que l’employeur ne peut pas sanctionner deux fois les mêmes faits fautifs. (Cass. soc. 16 mars 2010 n° 08-43.057 (n° 555 FS-PB), Association Sainte-Anne c/ Lalli) et lorsqu’il a prononcé un avertissement pour fait fautif , il est considéré avoir épuisé son pouvoir disciplinaire.
Dans cette affaire, un employeur avait déjà sanctionné par un avertissement une salarié pour un ensemble de faits fautifs dont il avait eu connaissance.
Il ne pouvait par la suite la sanctionner de nouveau en prononçant cette fois-ci un licenciement.
L'employeur est donc tenu de respecter la règle « non bis in idem » lui interdisant de sanctionner deux fois les mêmes faits fautifs.
7/ La Cour de Cassation a jugé que le salarié qui utilise Internet sur son lieu de travail à des fins personnels pendant une très longue durée (en l’occurrence 41 heures de connexion sur un mois) commet une faute grave, car il s’agit d’un abus.
L’employeur reprochait à son salarié des connexions excessives à internet et une utilisation disproportionnée par rapport à ses besoins.
8/ La Cour de Cassation a jugé que le salarié qui utilise une véhicule de société en dépit de l’interdiction faite par son employeurCass. soc. 30-6-2010 n° 08-41.996 (n° 1324 F-D), De Chauvigny c/ Sté Les Editions Sandelius
9/ Une sanction disciplinaire ne peut être prononcée qu'en raison de faits constituant un
manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers l'employeur.(Cass. soc., 30-06-2010, n° 09-66.792, M. Ludovic Chaput, FS-P+B)
10/Un message électronique dans lequel l'employeur adresse divers reproches à un salarié et l'invite de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure, sanctionne un comportement fautif et constitue un avertissement. Il en résulte que les faits faisant l'objet de ce courriel ne peuvent ensuite justifier un licenciement. (Cass. soc. 26 mai 2010 n° 08-42.893 (n° 1102 F-D), Sté Médiance c/ Boileau.)
Dans cette affaire, l’employeur reprochait à la Cour d’avoir confondu son pouvoir de direction qui l’autorisait à faire des mises en gardes et des rappels à l’ordre avec son pouvoir disciplinaire et considérait que l’envoi d’un courriel lui rappelant un relâchement ne s’analysait pas en une sanction.
Les employeurs doivent donc considérer que l’écrit papier et un courrier électronique peuvent avoir la même valeur et constituer un avertissement.
Les conséquences de la qualification de faute grave
- Sur la charge de la preuve
Si la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l'employeur, il incombe en revanche à ce dernier d'apporter la preuve de la faute grave ou lourde qu'il invoque.(Cass. soc. 5 mars 1981 n° 513, Sté Sommer c/ Dzuiba).
La gravité de la faute n'est pas subordonnée à l'existence d'un préjudice subi par l'employeur.
Ainsi, le préjudice subi par l’employeur ne saurait justifier à lui seule la gravité des manquements reprochés au salarié.
Lorsqu'il subsiste un doute sur la faute grave reprochée, le doute profite au salarié.
Le Juge du Fond appréciera selon les éléments qui lui auront été soumis par chacune des parties le degré de gravité de la faute.
Bien entendu, le Juge n’est jamais tenu par la qualification des parties, et notamment celle qui figure dans la lettre de licenciement.
Il convient d’attirer l’attention sur le fait que la faute grave ne peut pas être invoquée par l’employeur à n’importe moment et que qu’il doit prendre la précaution d’engager une procédure disciplinaire très rapidement.
Dès que la faute grave apparaît établie, l'employeur doit mettre en oeuvre la procédure de licenciement dans un délai le plus restreint possible. La faute grave ne saurait être admise
Lorsque la faute grave est retenue, le salarié est privé du droit à l'indemnité légale de
licenciement (C. trav., art. L. 1234-9) ainsi que du droit au préavis.
Le salarié qui commet une faute grave n'a pas le droit, s'il est licencié, à l'indemnité de
préavis et à l'indemnité de licenciement.
Je me tiens à votre disposition pour tous renseignements complémentaires.
Maître Joan DRAY