I) la répartition légale des charges de travaux en matière de bail commercial.
Il faut savoir que la répartition des travaux à réaliser dans un bail commercial n’est pas soumise au statut des baux commerciaux mais aux dispositions du code civil.
Ainsi, les parties peuvent se référer aux articles 1719 et 1720 du code civil qui laissent au bailleur l'obligation d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, et d'effectuer toute réparation autre que locative, c'est-à-dire autre que celles qu'énumère l'article 1754.
L’article 1719 du code civil dispose que « le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière : De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ; D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ; D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; D'assurer également la permanence et la qualité des plantations ».
A la lecture de l’article 1719 du code civil, le bailleur est tenu d’assurer :
-l’ obligation de délivrance (alinéa 1er),
- l’obligation d’entretien (alinéa 2),
- l’obligation d’assurer au preneur une jouissance paisible de la chose pendant la durée du bail (alinéa 3).
Cette délivrance se comprend comme la mise à disposition d’une chose « en bon état de réparation de tout espèce » (article 1720, alinéa 1er du code civil) et s’applique même en cas de possession des lieux (Cass, civ 3e, 1er juin 2005).
En l’absence d’aménagement conventionnel, une répartition est opérée par l’article 1754 du Code civil entre les grosses réparations qui sont à la charge du bailleur (toiture, ravalement de façade) et les réparations minimes d’entretien locatives qui sont laissées à la charge du preneur.
L’article 1755 vient tout de même limiter la répartition des travaux, puisque aucune des réparations réputées locatives n'est à la charge des locataires quand elles ne sont occasionnées que par vétusté ou force majeure.
Les réparations autres que locatives qui incombent au bailleur sont souvent qualifiées de « grosses réparations ».
L’article 606 du code civil nous éclaire puisque les grosses réparations, « sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d'entretien ».
Le preneur n’est que l’usufruitier de la chose donnée à bail or il s’agissait de grosses réparations (toiture) donc normalement à la charge du propriétaire-bailleur.
Le preneur se prévaut donc du droit spécial relatif au démembrement de propriété en disant que c’est au bailleur qu’incombent les grosses réparations.
Par ailleurs , l’article 605 du Code civil dispose en substance que l’usufruitier n’est tenu qu’aux menues réparations d’entretien alors que les grosses réparations sont à la charge du nu-propriétaire, « à moins qu'elles n'aient été occasionnées par le défaut de réparations d'entretien, depuis l'ouverture de l'usufruit ; auquel cas l'usufruitier en est aussi tenu».
C'est le bail lui-même qui détermine la répartition des charges et des travaux par une ou plusieurs clauses spécifiques.
II) La répartition des charges des travaux soumise à la volonté des parties : une répartition conventionnelle.
Cette répartition n'étant pas d'ordre public, il peut y être valablement dérogé par des conventions particulières.
Dans la pratique, force est de constater que le bailleur tente de faire supporter au locataire des travaux qui lui incombent normalement.
Mais devant le souhait exprimé par le candidat acquéreur d’obtenir la jouissance des lieux en raison de l’emplacement, de la zone de chalandage, de la surface etc…, le locataire accepte souvent de prendre les lieux dans l'état où ils se trouvent lors de l'entrée en jouissance.
Attention, la Jurisprudence a précisé que l'entrée dans les lieux par un locataire connaissant leur mauvais état n'équivaut pas à une renonciation de ce dernier à se prévaloir ensuite de ses droits concernant l'obligation légale du bailleur d'entretenir les lieux en état de servir à l'usage pour lequel ils ont été loués, alors que celui-ci n'en a pas été déchargé par la convention.
Il est donc nécessaire d’apporter un grand soin à la rédaction des clauses et de ne pas se contenter de clauses types ou contradictoires, ce qui aura pour avantage d’éviter des difficultés d’interprétation et des contentieux judiciaires inutiles.
Les parties d'un bail commercial peuvent prévoir de faire peser sur les épaules du preneur l’ensemble des charges et des réparations, y compris les « grosses réparations » (Cass, civ 3e, 7 février 1978), le statut des baux commerciaux ne prévoyant rien en la matière et l’article 1720 n’étant pas d’ordre public les parties peuvent déroger par des conventions particulières.
L’arrêt nous éclaire sur la répartition des charges de travaux de réfection et opère un retour aux solutions précédentes, en effet en cas de clauses ambiguës, la jurisprudence considère que l'interprétation doit se faire au profit du locataire.
Si un désaccord apparait entre les parties, le juge interprète les clauses de répartition des charges. Mais en l'absence de clause expresse répartissant les charges, le juge peut se référer au Code civil et aux textes réglementaires spéciaux.
Le preneur ne peut avoir la charge de tous les travaux, quand les travaux peuvent se rattacher à une autre obligation du bailleur dont il ne peut s’exonérer.
En effet, on ne peut imputer au preneur la charge de tous les travaux, s’il existe une chose viciée, aux termes de l’article 1721 du code civil « il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail. S'il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l'indemniser » (Cass, civ 3e, 23 avril 1986).
Ainsi, si le bailleur peut mettre à la charge du preneur, par une clause expresse du bail, l'obligation de prendre en charge les travaux rendus nécessaires par la vétusté, il ne peut, en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, s'exonérer de l'obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble (Cass, civ 3e, 9 juillet 2008 « la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée par un motif hypothétique, en a exactement déduit que ces travaux étaient à la charge du bailleur »).
Ces travaux ou réparations doivent être soigneusement distingués à la fois de ceux rendus nécessaires par la vétusté et des grosses réparations de l'article 606 du code civil. Ils relèvent, en effet, de l'obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur en application des articles 1719 et 1720 du code civil, et à laquelle celui-ci ne saurait se soustraire, notamment par le biais d'une clause relative à l'exécution de travaux (Cass, civ 3e , 1er juin 2005).
La liberté des parties est donc limitée dans la répartition des charges des travaux face à certain aspect de l’obligation de délivrance du bailleur.
On connaît l'importance particulière que revêt, en matière de bail commercial, l'obligation de délivrance, ainsi définie : le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée (Cass civ 3e, 26 mars 1997).
Il n'est que très rarement admis que le bailleur puisse transférer au preneur une charge relevant de cette obligation de délivrance.
Dans ces conditions et selon les données du litige, il convient de faire appel à un expert, afin d’évaluer et de préciser la nature des travaux nécessaires.
III) Les limites d’une répartition conventionnelle : la charge des travaux en cas de réfection de la toiture.
La Cour de cassation a estimé lorsqu’il est question de réfection totale de la toiture, il s'agit de travaux de modification de la chose louée, ce qui revient au bailleur de s'exonérer de son obligation de délivrance prévu à l’article 1719 du Code civil, ce qui est un manquement à ses devoirs.
Les travaux sur la toiture, étant de « grosses réparations » sont en principe à la charge du bailleur sauf clause contraire et réparations nécessaires par le défaut d’entretien du preneur (l’illustre Cass, civ 3e, 11 décembre 1991).
L’originalité de l’affaire, repose sur la solution de la cour, estimant qu’il n'était question que d'une réfection partielle de la toiture, la location portant sur plusieurs bâtiments. La jurisprudence est restée jusque là hésitante quant au transfert de la charge de ces travaux au preneur.
L’interprétation de ces clauses a été souvent extensive, Cass, civ, 3e, 6 novembre 2001 où a été reconnue l’efficacité de la clause par laquelle le preneur « devait faire exécuter à ses frais et sans aucun recours contre la bailleresse les travaux qui pourraient lui être imposés par la commission d’hygiène et de salubrité ». Ou encore Cass, civ, 3e, 7 janvier 2009 dans laquelle, la Cour de cassation a admis la validité d’une clause « qui mettait à la charge du locataire les grosses réparations telles que définies à l’article 606 du Code civil » et a censuré par la même la Cour d’appel condamnait le bailleur à prendre en charge les travaux malgré cette clause.
Toutefois, la Cour de cassation, nous rappelle une interprétation extensive puisque la clause soumise au preneur ne permet pas au bailleur de s’exonérer quand la réfection est totale. Les clauses limitatives des obligations du bailleur sont interprétées restrictivement par les juges depuis un certain temps (Cass, civ, 3e, 11 décembre 1984, article 1754 du code civil).
En outre, on a considéré que le bailleur ne pouvait supporter la charge des réparations de la réfection totale de la toiture, quand une clause prévoyait déjà que le preneur s’engage à faire les réparations nécessaires (comprenant les grosses réparations) à ses frais.
La Cour de cassation en conclut, d’une part, que la clause mettant à la charge du preneur les grosses réparations et le clos et le couvert doit être interpréter restrictivement, d’autre part, cette clause ne peut avoir pour conséquence de mettre à la charge du preneur la réfection totale de la toiture.
Par conséquent, si les parties peuvent convenir, dans une certaine limite, de déroger aux règles de répartition, une telle dérogation doit être expresse et précise puisqu'en cas de doute, le juge interprétera la clause en faveur de celui qui s'oblige, c'est-à-dire le preneur (article 1162 du Code civil), surtout lorsque la dérogation porte sur une obligation ressortant de l'obligation de délivrance du bailleur.
Après le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation le 7 janvier 2009, la cour revient dans cette décision à son ancienne position affirmée par l’arrêt du 10 mai 1991, jugeant que la réfection de la toiture, dès lors qu'elle était totale, devait être prise en charge par le bailleur même si le bail mettait à la charge du locataire les grosses réparations et celles de la toiture.
Quid alors de la clause mettant à la charge du preneur une réfection de toiture ?
La Cour de cassation a rejetté le pourvoi aux motifs que la « clause du bail, transférant au preneur la charge des grosses réparations et celle du clos et du couvert, devait être interprétée restrictivement et ne pouvait inclure la réfection totale de la toiture de l'un des bâtiments ». la troisième chambre civile en date du 29 septembre 2010, n° 09-69.3371
Il apparaît nécessaire afin que l’interprétation des juges soit la plus proche possible de la volonté des parties, de rédiger une clause précisant la nature de la réfection, en effet il serait plus judicieux de déterminer si la réfection de toiture est totale ou partielle.
A cet égard, soumettre au preneur la totalité des travaux de réfection totale d’une toiture peut paraÏtre en inadéquation avec le combat mené par les juges visant à sanctionner le bailleur en cas d’inexécution de l’obligation de délivrance.
Je me tiens à votre disposition pour tous renseignements complémentaires.
Maître Joan DRAY
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